Âme brisée

Mizubayashi Akira, Âme brisée . Gallimard, 2019.

En jetant des passerelles entre des mondes disjoints Akira Mizubayashi affirme son attachement à des valeurs universelles et intemporelles. La communication entre ces univers distants se fait sur divers modes.
Pour l'auteur japonais, résidant à Tokyo, et écrivain francophone la musique classique serait un élément résonnant par delà les cultures puisque la mélancolie profonde d'un quatuor de Schubert fait non seulement vibrer les étudiants qui le répètent, mais imprègne profondément les protagonistes du roman.

Le thème que je vais jouer est d’après moi l’expression de la nostalgie pour le monde d’autrefois qui se confond avec l'enfance peut-être, un monde en tout cas paisible et serein, plus harmonieux que celui d’aujourd’hui dans sa laideur et sa violence. En revanche, j’entends le motif présenté par l’alto et le violoncelle «tâ... takatakata……, tâ.…. takatakata..…… » comme la présence obstinée de la menace prête à envahir la vie apparemment sans trouble. La mélodie introduite par Kang-san traduit l’angoissante tristesse qui gît au fond de notre cœur...

p. 34



Dans le Tokyo de 1938, une patrouille militaire interrompt brutalement la répétition. Rei, le personnage autour duquel s'articule le roman, a pu s'abriter dans une armoire et assister à la dislocation du violon de son père. Le geste signe la brutalité de l'Empire nippon face à laquelle la sensibilité musicale du Lieutenant Kurokami a peu de poids. L'apaisement de Rei doit passer par la réhabilitation du violon, un Nicolas François Vuillaume, dont l'âme a été sauvagement brisée.
L'auteur s'inspire des tempos et des reprises pour composer son récit. Dès les premières lignes il présente le thème dramatique. Il y reviendra en variant les points de vue. La puissance de la musique et la volonté de communiquer déterminent deux axes qui s'opposent à l'œuvre de la barbarie.

Dès l’adolescence, il s’était plongé dans la musique comme dans les livres, dans les sons comme dans les mots. Son environnement familial ne lui avait pas permis d’apprendre à jouer du violon ou de l’alto; il s’était tourné vers la fabrication d’instruments à cordes. C’était la meilleure manière de demeurer dans le jeu des infinies combinaisons des sons musicaux et dans le vaste monde des émotions foisonnantes et profondes qui en émanaient.

p. 97

Pour l'auteur, bien qu'essentielle, la musique ne suffit pas pour partager les émotions; les mots doivent venir l'expliciter. Ce sont d'abord les échanges entre les musiciens nippons et chinois qui travaillent le «Rosamunde» alors que leurs pays sont engagés dans une guerre féroce. Puis ce sera le désir de Rei de conserver la langue japonaise quand il sera adopté en France.
Mizubayashi fait transparaître ses valeurs dans son roman. L'attachement à l'humanité qui, comme le violon de Vuillaume, traverse les crises et en sort grandi. Le respect des ancêtres qui n'exclut pas l'ouverture aux autres cultures puisque ce sont de mêmes émotions qui font vibrer chaque homme et chaque femme.
Son roman parait toutefois factice tant la culture occidentale y joue un rôle central, ne serait ce que par le choix de l'écrire en français.

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