Comme un homme

Vörös Florian, Désirer comme un homme, Enquête sur les fantasmes et les masculinités. La Découverte. 2020.

Sur sa fiche de présentation de l'Université de Lille, Florian Vörös indique que “[s]es recherches se situent au croisement des Cultural Studies, de l'ethnographie des pratiques numériques et des études de genre et de sexualité”. En publiant un essai sur l'influence de la pornographie dans la socialisation masculine, il traite plus précisément des “représentations culturelles et les expériences vécues des sexualités masculines (plaisir, normes, hiérarchies, violences)” en tenant compte du regard féministe sur les hommes mâles.

Les recherches sur les inégalités de genre et de race offrent une clé de compréhension des disparités sociales. Concepts très intellectualisés, ces études sont souvent clivantes et suscitent le rejet des personnes rassurées par un ordre bien établi, qu'il soit hiérarchique ou qualifié de naturel.
La genèse de cet essai tendrait à prouver qu'il s'agit bien d'un délire d'intellos. Au terme d'un master en sociologie, Vörös mène une trentaine d'interviews entre 2008 et 2012 en lien avec la pornographie sur l'Internet. Il aurait souhaité interagir avec un public représentatif de la diversité socio-économique, mais il a dû se contenter d'hommes blancs des classe moyenne et supérieure. Les images sexuellement explicites étant considérées comme subversives car encourageant à l'immoralité, il lui est difficile de recueillir des éléments qualitatifs permettant d'en analyser la fonction.
L'accès aux images pornographiques n'est toutefois pas un phénomène marginal. Il s'inscrit dans l'histoire puisque des cartes postales de ce type sont largement publiées dès la fin du XIXe s. Les sites à vocation sexuelle explicite n'en sont qu'une variante qui se distingue par sa facilité d'accès. Bien que leur accès soit majoritairement un fait masculin, ils ne sont pas réductibles à un simple support masturbatoire. Leurs vidéos contribuent au renforcement du modèle social masculin en propageant une norme de la virilité.

Prendre en compte la pluralité des masculinités permet aussi d'interroger les différentes scènes de la vie sociale sur lesquelles les hommes jouent au quotidien des rôles masculins. La «bonne » manière d’être un homme varie selon les espaces et les moments de la vie quotidienne : on n'est pas forcément le même homme en tant que manager, conjoint, père, partenaire sexuel d’un soir ou spectateur de pornographie. Dès lors, il n’y a pas de garantie à ce que le modèle de masculinité valorisé dans tel domaine soit entièrement compatible avec celui valorisé dans tel autre. Cela permet de se rendre compte que le patriarcat est un système politique traversé par des contradictions internes, que les hommes parviennent plus ou moins bien à résoudre pour asseoir et légitimer leur position dominante.

p. 17

L'auteur précise avoir interrogé des hommes, hétérosexuels et gays, et quelques femmes sur leur rapport à la pornographie. Pour obtenir des informations pertinentes, il a mis en place un dispositif requérant un engagement émotionnel de sa part dans lequel il n'a pas hésité à se révéler. Il s'agissait de constituer un contexte à la fois intime pour favoriser la parole et cadré pour éviter toute équivoque. Cette démarche reste toutefois ambiguë puisque l'acquisition de ce matériau est conjointe à “[sa définition] comme pédé et bisexuel” (p. 90). Bien que l'auteur soit transparent sur ces biais, on peut s'interroger sur l'objectivité scientifique de sa méthode.
Après avoir recueilli les informations, Florian Vörös parcourt les plateformes fréquentées par les interviewés pour interpréter leurs propos en lien avec l'esthétique propre à chacun de ces sites. Sa recherche contribue donc à préciser ses propres modèles d'identification. Il confronte ses observations, transcriptions et éléments contextuels, à la littérature existant sur le sujet. L'essai qui résulte de ces analyses, après une thèse et cinq années, est influencé par les recherches féministes mais se caractérise aussi par des exemples concrets.
Les observations de Vörös révèlent une prégnance des considérations morales qui se manifeste par un décalage important entre la posture et les pratiques. Ces dernières restent influencées par un besoin de normativité. Il note une faible capacité de réflexivité des hommes interrogés, bien que leur recul dépend de leur orientation sexuelle. Si les gays ont une position critique concernant le rapport de domination homo/hétéro, ils occultent le plus souvent leur tendance à exclure les hommes racisés qu'ils réduisant à des stéréotypes... eux-mêmes exploités par les sites pornographiques.

L'hétérosexualité masculine ne se définit pas seulement dans le rapport à l’objet féminin désiré mais aussi dans le rapport à soi-même en tant que sujet masculin désirant. Pour être un homme hétéro « normal », il ne suffit pas de visionner du porno hétéro « normal » : il faut surtout attester de sensations « normales ». […] Dans la pratique, pour être considéré par ses pairs comme un homme hétéro « normal », mieux vaut en fait en dire le moins possible sur la réalité complexe de sa vie autosexuelle et fantasmatique.

p. 102-103

Les conclusions de l'auteur montrent que les rapports de domination dans le groupe des hommes blancs de classes moyenne et supérieure sont exacerbés par un sentiment de maîtrise morale. Cette arrogance est manifeste lorsqu'ils attribuent aux autres (hommes), considérés comme moins expérimentés ou moins responsables, un usage pervers de la pornographie.
Le rôle du cinéma et des séries dans la construction identitaire de l'homme mâle est le sujet essentiel du podacst Mansplaining que tient Thomas Messias. Ses chroniques relèvent avec finesse la difficulté à rester cohérent : les nobles idéaux se dissolvent bien facilement dans des habitudes quotidiennes, même moins controversées que la fréquentation de sites coquins. Cet intérêt commun pour les masculinités a incité le baladodiffuseur à partager un entretien avec l'essayiste.

Site de l'éditeur
Mansplaining de Thomas Messias
RTS Six heures, Neuf heures de Théo Chavaillaz et Mathieu Truffer