Les Balkans autrement

Stéphane YÉRASIMOS Le retour des Balkans 1991-2001. 2002. Paris. autrement. Collection Mémoires

Deux axes principaux constituent cet ouvrage : le premier se rapporte aux guerres yougoslaves de 1991 à 1999, alors que le second analyse la transition du communisme à l’intégration européenne.
Couverture de Retour des Balkans
Par son éclairage diversifié sur la dernière décennie du XXe s., ce volume donne une perspective intéressante de cette région. Par exemple quand il est question du Sandjak, l’auteur montre les tenants et aboutissants d’une recherche d’autonomie. Les revendications de cette minorité slave de confession musulmane établie à la frontalière de la Serbie et du Monténégro rappellent les enjeux de cette région au début du XXe s. alors objet de rivalité entre Vienne et Istanbul, alors qu’en 1990 il s’agit d’un problème interne à la Yougoslavie. La dynamique des forces politiques en présence est même à l’origine de cette question, en particulier l’activisme d’Ugljanin au sein du parti musulman de la Yougoslavie SDA –Parti de l’action démocratique–. La revendication d’un Sandjak souverain a envenimé les relations déjà tendues entre les musulmans d’un côté, les Serbes et les Monténégrins de l’autre. Pour soutenir son action le leader n’hésita pas à s’impliquer dans un trafic d’armes et à solliciter l’appui international d’Ankara et de Riyad. L’évolution de la situation en Bosnie encouragea également de nombreux sandjakois à émigrer vers Sarajevo (sans lien avec une épuration ethnique), créant également des tensions avec les Musulmans bosniaques. L’aspiration à l’émancipation de cette région peuplée en majorité de slaves musulmans est compréhensible, mais l’utilisation de ce vœu pour asseoir le pouvoir d’un homme ont accru les ressentiments et desservi la population.
Les articles consacrés à la Grèce et à la Bulgarie montrent que les équilibres sont souvent fragiles et que l’usage d'un nationalisme exacerbé cause des préjudices importants. En Bulgarie, la chute du Mur est marquée par une explosion de conflits communautaires en réaction à la politique de « renaissance nationale » du régime communiste de Jikov. La politique de restitution des droits aux minorités, en particulier à la minorité turque musulmane, a été maintenue malgré les réactions nationalistes. Ce succès est dû à la clairvoyance des ex-communistes qui ont permis la création d’un « parti turc » qui a pu trouver une place entre leur formation et celle de leurs opposants nationalistes en raison de la modération de son programme.
En (vieille) Europe le processus de formation de l’État-nation a été un processus lent et cette transformation n’a commencé que tardivement dans les Balkans. Les conflits mondiaux et l’ère communiste ont également agi sur ce processus, de même que les luttes d’influence entre Européens et Américains au lendemain de l’effondrement du bloc de l’Est. Ces jeux ont été mis en évidence par la provenance des différentes forces d’interventions lors de la décennie de conflits, ainsi que par le rôle des ONG relayées par les médias.
La légitimité de la Yougoslavie communiste reposait sur le mythe de la fraternité et de l’unité. Lors de la chute du régime, la mémoire officielle de la Seconde guerre mondiale est remise en cause et instrumentalisée par les diverses nationalités. Pendant les guerres yougoslaves, les forces en présence multiplient
ad nauseum les références au conflit mondial, par exemple en affirmant chacune être victime d’un génocide. Le territoire est marqué de tombes de héros et de martyrs, de monuments aux morts, la vie est rythmée par les commémorations et les repères sont modifiés par la nouvelle nomenclature des rues. Les mémoires se cristallisent autour de mots qu’il faudra réviser et accorder : les sondages révèlent une opinion des Musulmans bien plus favorable de la vie commune en Bosnie-Herzégovine sous Tito que celle des Serbes et des Croates. Les dénonciations de crimes commis par sa propre communauté –qui sont rarement sans conséquences pour leur auteur– illustrent la volonté de voir ces mémoires collectives apaisées.