2020

Mendelssohn sur le toit

Weil Jiří. Mendelssohn est sur le toit [précédé de] Complainte pour les 77 297 victimes, Le nouvel Attila, 2020.

Comment rendre compte de la furie antijuive des Nazis ?

Tous résistaient à la mort du mieux qu'ils pouvaient, chacun à sa manière. La mort était le fief des envahisseurs. Ils la célébraient dans leurs chants et leurs marches. Elle était leur meilleure amie. Mais les habitants du pays conquis voulaient vivre.

p. 272

Prague, Rudolfinum – wikimedia

Prague Rudolfinum

C'est la question que l'auteur tchèque Jiří Weil a mis de longues années à mûrir avant d'achever ce roman composé d'une vingtaine de tableaux disparates. Tous ces textes ramènent à l'occupation de la Bohême-Moravie et à la politique d'extermination systématisée des Juifs qui y est menée. Ces tableaux se distinguent par la grande disparité de ton. L'ironie y est fréquente, peut-être pour mieux éluder la violence de l'envahisseur.
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Marie Curie

Milani Alice, Marie Curie, Cambourakis 2019.

Milani Curie
En quelques vignettes méticuleusement choisies, la peintre pisane Alice Milani livre une brève biographie de Marie Curie. Elle rappelle le destin exceptionnel d'une femme qui déborde la condition que son sexe et sa classe lui assignent.
En attribuant la narration à Irène (Joliot-Curie) et Ève (Curie), l'artiste s'offre un espace pour considérer la Prix Nobel dans sa féminité.
La technique d'Alice Milani lui ouvre une large palette de teintes pour traduire les émotions. Ces marqueurs, qui sortent des codes habituels de la bande dessinée, apportent de la profondeur à cette biographie.

Le site de l'éditeur

Une rose seule

Barbery Muriel, Une rose seule. Actes Sud, 2020.

Muriel Barbery nous emmène à la découverte du Japon avec Rose. Dans un roman qui aborde le thème de l'abandon paternel comme Mizubayashi dans son Âme brisée. Ce choix permet à ces deux auteurs, qui se sont immergés dans une autre culture, de tisser des liens entre ces univers distincts. Ces approches communes incitent à les comparer.
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Peter usw

Lecoultre Alexandre, Peter und so weiter . L'Âge d'homme, 2020.

Opus décalé d'Alexandre Lecoultre sur un rythme très poétique. Les protagonistes, au premier rang desquels Peter, sont des marginaux évoluant dans le microcosme helvétique, autour d'un point de chute, le café du Nord.

Peter lit avec la difficulté, alors plutôt que de déchiffrer le journal, c’est comme ça qu’il se renseigne sur la pluie et le beau temps, en venant écouter les dames parler aux arrêts de tram. Lorsque le temps est incertain, ce qui est souvent le cas, il parcourt plusieurs arrêts, voire des lignes différentes, pour comparer et deviner l’évolution dans la journée.

p. 18

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Âme brisée

Mizubayashi Akira, Âme brisée . Gallimard, 2019.

En jetant des passerelles entre des mondes disjoints Akira Mizubayashi affirme son attachement à des valeurs universelles et intemporelles. La communication entre ces univers distants se fait sur divers modes.
Pour l'auteur japonais, résidant à Tokyo, et écrivain francophone la musique classique serait un élément résonnant par delà les cultures puisque la mélancolie profonde d'un quatuor de Schubert fait non seulement vibrer les étudiants qui le répètent, mais imprègne profondément les protagonistes du roman.

Le thème que je vais jouer est d’après moi l’expression de la nostalgie pour le monde d’autrefois qui se confond avec l'enfance peut-être, un monde en tout cas paisible et serein, plus harmonieux que celui d’aujourd’hui dans sa laideur et sa violence. En revanche, j’entends le motif présenté par l’alto et le violoncelle «tâ... takatakata……, tâ.…. takatakata..…… » comme la présence obstinée de la menace prête à envahir la vie apparemment sans trouble. La mélodie introduite par Kang-san traduit l’angoissante tristesse qui gît au fond de notre cœur...

p. 34



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Comme un homme

Vörös Florian, Désirer comme un homme, Enquête sur les fantasmes et les masculinités. La Découverte. 2020.

Sur sa fiche de présentation de l'Université de Lille, Florian Vörös indique que “[s]es recherches se situent au croisement des Cultural Studies, de l'ethnographie des pratiques numériques et des études de genre et de sexualité”. En publiant un essai sur l'influence de la pornographie dans la socialisation masculine, il traite plus précisément des “représentations culturelles et les expériences vécues des sexualités masculines (plaisir, normes, hiérarchies, violences)” en tenant compte du regard féministe sur les hommes mâles.
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L'odyssée d'Hakim

Toulmé Fabien, L'Odyssée d'Hakim, Delcourt, Encrages (2018–2020)

Toulme Hakim projet
L’Odyssée d’Hakim est un roman graphique singulier : un dessin minimaliste proche de la ligne claire pour raconter une histoire personnelle au plus près des faits. En mars 2015, les migrants affluent vers l'Europe au péril de leur vie et les naufrages se succèdent en Méditerranée dans une relative indifférence. Toulmé s'interroge sur ce traitement médiatique alors que le suicide d'un copilote au commande d'un appareil de Germanwings suscite une immense émotion, probablement parce que le public s'y identifie fortement. Il ne peut accepter ce silence et se lance dans un travail de grande envergure puisqu'il lui faudra trois volumes pour raconter le voyage qui mènera Hakim de Damas à Aix-en-Provence.
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L'Arabe du futur, 1987-1994

Sattouf Riad, L'Arabe du futur, Une jeunesse au Moyen-Orient.
Tome 4 – 1987-1992, Allary Éditions, 2018
Tome 5 – 1992-1994, Allary Éditions, 2020

Arabe Futur 5
La double appartenance française et syrienne de l'auteur, amplifiée par le désaccord parental, est une réalité que connaissent beaucoup d'enfants. L'instabilité du lieu de domicile est aussi un fait que doivent assumer de nombreux élèves avec de fréquentes incidences sur leur scolarisation. Dans la situation de Riad, ces déplacements le confrontent à des systèmes éducatifs fondamentalement différents, puisque fondés sur des conceptions culturelles et politiques opposées.
Le dessin est le moyen pour Sattouf de dépasser ces impasses identitaires.
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Cinq branches de coton noir

Sente Yves et Cuzor Steve, Cinq branches de coton noir. Dupuis, Aire libre, 2018.

BD coton noir
Le roman graphique de Yves Sente illustré par Steve Cuzor reprend les codes de la bande dessinée pour traiter de la question raciale. Son héros, Lincoln Bolton, est un soldat noir américain de la Seconde guerre mondiale relégué, par sa couleur, dans des tâches subalternes en Angleterre. Désireux comme nombre de ses compatriotes de rejoindre les unités combattantes, il est victime de la ségrégation qui marque profondément toute la société américaine et, en particulier, les corps constitués.
Sente rappelle que le refus de Hitler de serrer la main de Jesse Owens aux Jeux Olympiques de Berlin est plus connu que celui du Président Franklin D. Roosevelt, en campagne pour sa réélection. La crainte que l'engagement patriotique des descendants d'esclaves nécessite une reconnaissance amène un bouleversement sociétal primait sur les considérations stratégiques à court terme. La division des tâches au sein de l'armée rend vraisemblable les discriminations racistes qui parcourent tout l'ouvrage.
Le scénario qui valorise l'engagement de Lincoln et de ses pairs en vue de réhabiliter des Afro-américains paraît cousu de fil blanc : la quête sera fructueuse. En laissant dans l'ombre les branches de coton noir, le scénariste traduit parfaitement son intention de rendre hommage “[à] tous ceux qui se sont battus pour la reconnaissance de l'égalité des races [et à] tous ceux qui, malheureusement, doivent encore le faire, aux États-Unis ou ailleurs”.
Le dessin de Cuzor entretient magnifiquement la tension dramatique et souligne l'héroïsme des protagonistes en donnant au récit un aspect véridique.

Site de l'éditeur
Soldats noirs – Troupes françaises et américaines dans les deux guerres mondiales (centre de recherches ACHAC – Association pour la Connaissance de l’Histoire de l’Afrique Coloniale)

Des vies à découvert

Kingsolver Barbara, Des vies à découvert, Rivages 2020.

Barbara Kingsolver situe ce roman à Vineland, New Jersey. Ses références aux origines de cette communauté rappellent des invariants de la politique américaine, une certaine «mythologie» étasunienne.

[Les paysans] refusent de croire qu'on les a abusés en les poussant à amasser leur richesse pour les maîtres de cette ville.
– Aucun homme ne veut entendre qu'il a été un imbécile.
– Mais ils entendent, et ils persistent. Landis leur vend son contrat, ce Vineland égalitaire où tous les hommes ont la même chance, et ils lapent ça comme des chats le lait à leur écuelle. Ils sont tous pour le grand capitaine, alors qu'il les ligote et dévore leur âme et leurs biens. D'une certaine façon, il les amène à se ranger contre leur camp.
– Ils préfèrent se penser bientôt riches plutôt qu'irréversiblement pauvres.

p. 329

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Récits d'Helvétie

Ben Salah Rafik, Récits d'Helvétie, L'Âge d'homme, 2019.

Le recueil de nouvelles de l'écrivain helvético-tunisien, professeur de français dans le Canton de Vaud, est un pont entre deux mondes. Rafik Ben Salah décrit sa patrie d'adoption avec un détachement ironique, alors qu'une forme de nostalgie se dégage quand il est question de son pays d'origine.
Son écriture se décline dans un champ large, allant d'un lexique soutenu, voire précieux à des expressions régionales typées. Sensible à la musique de la langue, il joue volontiers avec les accords sonores. Ces jeux de langage masquent cependant un rapport complexe à la migration : malgré son statut social, il est toujours perçu comme étrange(r).

Au sortir de ce repas, j'avais le cœur crevassé. Je dis à ma compagne que je n'envisageais plus de rendre visite à ses parents. Parce que, comprenait-on ou ne comprenait-on pas, j'avais besoin d’un conseil paternel, pas d'un garagiste, moi, hein !
J'ai mis du temps à comprendre que c'était mon affaire et je remercie qu’on ne pas dit: c’est ton problème, comme il se dit trop souvent aujourd’hui. Je crois que j'eusse rompu bruyamment avec mes hôtes dont j’appris à connaître la faste générosité. Dans la société où je suis né, l'identité individuelle est encore en gestation. L'on mettra encore longtemps pour passer du Nous au Je, en dépit du Printemps qualifié d’arabe.

p. 23-24



Interview à la RTS du 21.12.2019


Science

Saint-Martin Arnaud, Science. Anamosa, Le mot est faible, 2020.

La collection Le mot est faible veut “chaque fois, […] s'emparer d'un mot dévoyé par la langue au pouvoir, […] l'arracher à l'idéologie qu'il sert et à la soumission qu'il commande pour le rendre à ce qu'il veut dire.”
Dans un contexte de pandémie, lorsque l'on aimerait être rassuré par des certitudes, il est important de différencier science et intuition.

[…] le bon fonctionnement d'une innovation biomédicale, en particulier quand elle est complexe à manier […] dépend d'un tissu d'institutions et de personnels de santé. La croyance que des solutions techniques simples et miraculeuses peuvent résoudre les problèmes, là même où les systèmes de santé sont défaillants, est un leurre. C'est aussi une leçon pour la crise que nous traversons – dont on ferait bien de se souvenir en attendant le vaccin qui viendra nous sauver du coronavirus.

Guillaume Lachenal
XXI – n° 52, Autopsie d'un vaccin, p.25


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Chère Ijeawele

Adichie Chimamanda Ngozi, Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe, Gallimard 2017.

Maintenant que je suis moi aussi mère d'une délicieuse petite fille, je réalise à quel point il est facile de donner des conseils sur la façon d'éduquer un enfant quand on n'est pas réellement confrontée soi-même à l’immense complexité de cette tâche.
Pourtant, je suis convaincue de l'urgence morale qu'il y a à nous atteler à imaginer ensemble une éducation différente pour nos enfants, pour tenter de créer un monde plus juste à l'égard des femmes et des hommes.

p. 12

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Résonances

Fondation Opale, Lens

« De tout temps, l’Homme a tenté d’exprimer sa place dans l’univers à travers l’art », telle est la vision que le Centre d'art met en exergue. Cette approche de la création est encore très présente dans l'art australien tel que le pratique les descendants des peuples aborigènes. L'énergie cosmique qui se dégage de leurs œuvres met en valeur le potentiel de résonance de ces artefacts.

« J'ai regardé l'univers, j'ai regardé cet endroit la Terre, les gens et les étoiles et je me suis dit : on est exactement comme les étoiles. Groupés ensemble, tout près les uns des autres. En fait on n'est qu'un, comme les étoiles. Nous sommes si nombreux à vivre sur Terre. Et la terre, la mer. le ciel, c'est un continuum. C'est une seule et même chose. Vos étoiles sont les mêmes que les nôtres. »

Gulumbu Yunupingu

Les citations de Kiefer ou de Penone rappellent l'attachement de l'homme à la nature et la force inspirante qui se dégage de notre biotope. La nature est elle-même créatrice. Les œuvres générées par les araignées de l'Argentin Tomás Saraceno interrogent cependant sur les limites de son exploitation par l'homme.

« Levez-vous arbres des bois, de la forêt, levez-vous arbres des vergers, des avenues, des jardins, des parcs, levez-vous des bois que vous avez formés, ramenez-nous au souvenir de vos vies, racontez-nous les événements, les saisons, les contacts de votre existence. Ramenez-nous à la forêt, à la noirceur, à l'ombre, au parfum des sous-bois, à la merveille de la cathédrale qui naît dans la forêt.»

Giuseppe Penone



Site de l'exposition
Virginie Nussbaum pour Le Temps

Aus den Fugen, en point d'orgue…

Sulzer Alain Claude, Une mesure de trop , Actes Sud, Babel 2013.

Point d'orgue, c'est le titre français que l'auteur aurait aimé pour son roman. Le nom étant déjà utilisé, c'est paradoxalement un intitulé suggérant un ajout qu'il a choisi alors que l'acmé du livre est l'interruption soudaine du récital de Marek Olsberg : Une mesure de trop.

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Le coup d'état climatique

Alizart Mark, Le coup d'Etat climatique, puf – perspectives critiques, 2020.

Transcription de deux conférences données par Mark Alizart à Buenos Aires en 2019, cet opuscule est une charge contre la politique des partis écologistes. Le philosophe note un consensus sur l'existence d'un changement climatique et une grande discordance pour y remédier. Le processus démocratique, parlementaire, ne suffit pas, selon lui, quand les forces capitalistes de l'énergie carbonée ont une stratégie de persévération de leur politique.

Ceux qui s'emploient à aggraver la crise climatique en connaissance de cause nous obligent à faire l'hypothèse qu'ils ne le font pas en dépit de l'effondrement qu'ils risquent de provoquer, mais en vue de le causer

p. 11


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Il était une fois en France

Nury Fabien et Vallée Sylvain, Il était une fois en France, Glénat 2016.

wiki Joseph Joanovici
L'édition intégrale de la saga du dessinateur Sylvain Vallée et du scénariste Fabien Nury plonge le lecteur dans l'histoire française. Elle est inspirée par l'histoire de Joseph Joanovici, un chiffonnier analphabète devenu milliardaire pendant l'Occupation. Sa biographie, de sa naissance peu documentée en Bessarabie (actuelle Moldavie) à ses trafics avec les nazis et son soutien à la Résistance, tient de la trame d'un bon policier. Sa notice wikipedia accumule les conditionnels et les archives de journaux attestent d'une réputation qui dépasse les frontières françaises.
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Campagnes urbaines

Campagnes urbaines
Hors-série Programme B, BINGE Audio, en partenariat avec le Plan Urbanisme Construction Architecture du ministère de la Transition écologique et du ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.


Le temps est suspendu dans un éternel recommencement ; cycle des saisons et des déplacements pendulaires, des générations et des virées au centre commercial, rien qui puisse faire figure de progrès. On n’en sort pas, et ces rues qui ne vont nulle part sont, en même temps, illimitées. Ce présent-là a l’arrogance de l’éternel.

Fanny Taillandier
Revue urbanités

En écho aux Années d'Annie Ernaux et aux utopies/dystopies des Mondes (im)parfaits, ces épisodes consacrés aux zones pavillonnaires interrogent sur les déterminismes qui dictent nos comportements sociétaux. Lire plus…

Bex & Arts – Industria

Une visite guidée enrichie des commentaires d'Olivier Estoppey permet d'accéder aux intentions artistiques. Une approche qui permet de dépasser la froideur conceptuelle de certaines œuvres. L'artiste souligne les contingences d'une exposition en plein air : l'espace ouvert, dans un paysage modelé comme le Parc de Szilassy, oriente la plastique, mais l'exigence de durabilité est une contrainte importante de la réalisation. Son "Quartier des fous": Une folie douce – Une folie furieuse, installée dans une cabane en surplomb du village, qui annihile nos références à la verticalité est l'exemple même de cet équilibre à établir pour donner à l'œuvre sa grandeur.

Bex & Arts
Stéphane Gobbo pour Le Temps
Sylvie Lambelet pour RTS Culture

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Indisponibilité

Rosa Hartmut. Rendre le monde indisponible. La Découverte 2020.

Philosophe et sociologue, Hartmut Rosa a développé le concept de résonance pour caractériser le besoin, pour son épanouissement, de relation de l'homme au monde. Dans ce court essai il précise le contexte qui rend possible cette ouverture et en quoi la société occidentale contemporaine, malgré tout son potentiel en limite l'accès.

La modernité court le risque de ne plus entendre le monde et, pour cette raison précise, de ne plus s’éprouver elle-même — tel est le bilan de ma sociologie de la relation moderne avec le monde. Elle est devenue incapable de se laisser interpeller et atteindre.

p. 38

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Petit Pays

Petit Pays, d’Eric Barbier (France, Belgique, 2020), avec Jean-Paul Rouve, Djibril Vancoppenolle, Isabelle Kabano, Dayla De Medina, 1h53.

[Le] film m’a rappelé une certaine réalité de la situation dans laquelle je me trouvais : tous les jours amenaient son lot d’angoisses avec le bruit de la guerre qui devient comme une musique de fond.

Gaël Faye
Dossier de presse



Le film d'Eric Barbier est une adaptation fidèle du roman Petit pays de Gaël Faye, même si l'écrivain a été surpris par la violence des images générées par son livre. Fruit d'une collaboration intense entre le réalisateur et Gaël Faye, cette production est avant tout une histoire d'enfance : pour Gaby, le désaccord entre ses parents est plus prégnant que la guerre au Rwanda. Le génocide, vécu à distance à Bujumbura, n'est jamais visible mais il s'insinue sournoisement dans son quotidien.
L'auteur tient à relever qu'en raison de la rareté des archives sur la vie au Rwanda et au Burundi dans les années 1990, le film a une dimension documentaire amplifiée par l'apport des acteurs non professionnels locaux.

Arnaud Robert pour Le Temps
Dossier de presse
Internet Movie Database

L'Arabe du futur 1984-1987

Sattouf Riad, L'Arabe du futur, Une jeunesse au Moyen-Orient.
Tome 2 – 1984-1985, Allary Éditions, 2015
Tome 3 – 1985-1987, Allary Éditions, 2016


Le récit autobiographique d’enfance impose de trouver le moyen d’articuler la perception, parfois naïve et étonnante, qu’a l’enfant des événements avec ce qu’en sait et comprend l’auteur adulte : Riad Sattouf exploite un certain nombre de procédés visuels et littéraires qui permettent de produire des effets parfois pathétiques, souvent comiques, mais aussi presque toujours déstabilisants pour le lecteur.

Riad Sattouf, L'écriture dessinée
Bibliothèque publique d’information / Centre Pompidou


Arabe Futur no3
Nouvelle incursion dans le monde de Riad Sattouf : poursuite de son parcours de vie et insertion dans la société.
L'«Arabe du futur», enfant immigré en Syrie, finit par devoir sortir du cocon familial pour se confronter à son environnement. La scolarité est un tremplin qui, en imposant une rupture, alimente les angoisses enfantines. En jouant sur les codes de la diversité culturelle, Sattouf souligne que l'école représente une injonction à une socialisation normative.
Rétrospectivement, l'auteur en décode les limites et les incohérences. L'enseignante qu'il trouve devant lui n'est pas la femme représentée dans les manuels scolaires. Cette discordance entre les intentions et les faits marque tout l'univers de Sattouf. Lorsqu'il s'agit de religion, les accommodements voire l'hypocrisie des adultes est particulièrement déconcertante pour l'enfant. Cette fausseté n'est pas spécifique à la culture musulmane… comme il le découvre lors d'un long séjour en France durant lequel il vit l'expérience de l'école française.
Le regard de l'écrivain dessinateur est aiguisé par son positionnement entre deux mondes : français/syrien, paternel/maternel, parental/scolaire… En observant ces alternatives, il module sa personnalité dans l'univers que la famille et la société lui ouvrent. Une belle dose de dérision lui permet de dépasser les troublantes inconstances des adultes.

Exposition L'écriture dessinée Centre Pompidou
Riad Sattouf

Mondes (im)parfaits

Maison d’Ailleurs, Yverdon-les-Bains

Schuiten
Quel meilleur lieu que celui dédié à la science-fiction pour s'interroger sur la dystopie, genre qui interroge un avenir désenchanté ?
Les curateurs relèvent qu'utopie et dystopie ne sont pas opposées mais présentent les deux formes d'un monde imaginaire. Ils se fondent sur les caractéristiques des utopies initiées par l'ouvrage de Thomas More en 1516 qui expose La meilleure forme de communauté politique et la nouvelle île d'Utopie.
Les utopies décrivant un monde idéalisé, elles en mettent en évidence l'organisation et les structures. Les dystopies appartiennent aussi au domaine de l'anticipation, mais dans un mode narratif. Ces récits font donc ressortir les failles que présentent le monde conceptuel et souvent clos de visionnaires.
Thomas More Utopia 1518 Universitätsbibliothek Basel
L'univers de François Schuiten et Benoît Peeters est un excellent support pour illustrer les diverses dimensions du futur, rêvé et/ou angoissant. Ils intègrent des éléments architectoniques de notre environnement dans un monde futuriste englobant. La nature s'efface devant la démesure des structures tout en mélangeant une place à l'homme. Cette présence est au cœur du récit ; les personnages ne sont pas les concepteurs de leur environnement, mais y créent un espace de vie.

L'île d'Utopia d'après une gravure de Holbein (Wikimedia commons)



Site de l'exposition

Le hasard des choses

Images Vevey – un aperçu

Kensuke Koike et Thomas Sauvin

Images Vevey Koike Sauvin

The Mother as a Creator – Annie Hsiao-Ching Wang : la maternité, vie projetée
La lueur du désastre – Stephanie Montes : réalité mise en scène
I Am Afraid, I Must Ask You to Leave – Julian Charrière & Julius von Bismarck : réalité manipulée
Lux in tenebris – Vincent Jendly : enfer marin
Escape from Paradise – Benoît Jeannet : paradis terrestre
Aya – Yann Gross & Arguiñe Escandón : l'esprit de la forêt
All That Life Can Afford – Matt Stuart : l'instant magique
Walk on Clouds – Abraham Poincheval : le voyage imaginé
NYsferatu : Symphony of a Century – Andrea Mastrovito : étrange étranger à la découverte de NYC
Memories of a Silent World – Brodbeck & de Barbuat : seul !
Weekend – Lei Lei : animation
Ke sale teng – Kganye Lebohang : diorama
Melting Memories – Refik Anadol : fluctuations de la mémoire
Der Lauf der Dinge – Peter Fischli & David Weiss : la vie des objets
Beggar's Honey - Chapter I : Latent Bloom – Jack Latham : aléas
Blueman on tour – André Kuenzy : rencontres
No More, No Less – Kensuke Koike et Thomas Sauvin : réalité fragmentée
Yan Gros Forêt Vevey

Aya – Yann Gross & Arguiñe Escandón

Journées du patrimoine 2020

Journées européennes du patrimoine sur le thème "Verticalité"

Villette – aménager la pente
Copier-coller de la visite 2019 : Cadre enchanteur, mais visite sans aucun intérêt : dommage  que Patrimoine Lavaux soit plus attentif aux aspects viticole qu'à la culture… Cette année s'est au moins préparé à enrichir son commentaire de touches historiques.

Lausanne – le verticalisme allemand
Quelques immeubles (Magasins Bonnard, immeuble Payot, Banque fédérale, Galeries St François) sont quelques rares témoins romands d'un mouvement associé à l'expansion du commerce né à Berlin. Les deux premiers immeubles ont été dessinés respectivement par les bureaux d'architectes Taillens & Dubois et Monod & Laverrière qui réaliseront la Gare CFF de Lausanne.
Galeries st_Francois Lausanne

Galeries St François, Lausanne

La seule histoire

Julian Barnes, La seule histoire (The Only Story), folio, Le Mercure de France, 2018.

Morris Minor front

Morris Minor

Roman en forme de triptyque.
L'histoire du premier amour de Paul, 19 ans, pour une femme d'âge mûr, l'accompagne pour la vie. Unique par son incongruité, cette alliance enchaîne le narrateur dans une loyauté qu'il lui est difficile d'assumer.
En utilisant pour chacune des sections un pronom différent, Barnes suggère la distanciation de notre perception de nos vies que permet la maturation. Ce procédé, et l'analyse du détachement qu'il entraîne, est sans doute l'aspect le plus attachant de ce roman.

[…] il pensait qu'il ne ferait probablement plus l'amour avant de mourir. Probablement. Possiblement. À moins que. Mais tout bien considéré, non. Pour cela il fallait être deux. Deux personnes, première personne et deuxième personne: je et tu, toi et moi. Mais à présent, la voix tapageuse de la première personne en lui était étouffée. C'était comme s’il regardait, et vivait, sa vie à la troisième personne. Ce qui lui permettait de la jauger plus précisément, pensait-il.

p. 251


Site du Mercure de France
André Clavel pour Le Temps

Théâtre d’ombres de Java

Setyaka, du groupe des Pandavas. Malgré un caractère grossier caractérisé par son visage tourné vers l'avant et ses jambes largement écartées, son visage noir, sa taille étroite, son nez pointu, ses petits yeux et sa bouche fermée montrent qu'il s'exerce à un comportement vertueux.


Théâtre d’ombres de Java, Des histoires sur la vie et le monde. Musée Rietberg

L'espace central de l'exposition est occupé par une cinquantaine de figures du théâtre traditionnel Wayang Kulit de Java. Découpées dans du parchemin perforé et rehaussées de couleurs et d'ors, ces personnages articulés font référence au Mahabharata. Les représentations s'organisent autour de la querelle familiale entre les Kauravas et leurs cousins, les Pandavas tout en intègrent des éléments de la vie quotidienne ou politique actuelle. Le Dalang, l'ombriste, joue un rôle essentiel : non seulement il manipule les figures, mais déroule l'histoire dans le respect des traditions javanaises.
La survivance de ces représentations, attestées dès le XIIe s., dans le contexte largement islamisé de l'Indonésie rappelle la force identitaire des traditions culturelles vivantes.

Site de l'exposition - détail des cartels

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Kader Attia

The Scream – Krankheitsmaske,Buch und Regal, 2016

Kader Attia, Remembering the Future

Artiste français d'origine algérienne, né en 1970, Kader Attia est habitué des espaces interculturels. Pendant son enfance, il fait de fréquents allers-retours entre la banlieue de Paris et l'Algérie. Il partage aujourd'hui son temps entre Berlin, Paris et Alger. Il a aussi vécu au Congo et en Amérique du Sud. Ces diverses expériences nourrissent une œuvre qui interroge la diversité culturelle et, en particulier, la manière dont l'Europe traite son passé colonial.
L'exposition présente divers espaces qui invitent au questionnement.

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Schall und Rauch

Semer à tout vent, Les années folles. Kunsthaus Zürich

Varvara Fyodorovna Stepanova (1894 – 1958)

La Première guerre mondiale est une hécatombe. L'Europe en sort meurtrie et changée. Les mutilés de guerre, les «gueules cassées» notamment, témoignent de la fureur des combats et les traumatismes qui leur sont liés.
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L'impact démographique va profondément modifier la société. La contribution des femmes à l'économie de guerre va leur donner une visibilité. Leur présence sur le marché de l'emploi est nécessaire. Alors que leur habillement est adapté et devient plus fonctionnel, l'apparence des hommes est moins virile. Cette présence féminine accrue dans l'espace public s'accompagne de discussions sur leur rôle politique; le suffrage féminin progresse timidement.
Le fordisme modifie les habitudes et on observe une accélération de la société qui s'observe encore un siècle plus tard ! L'architecture du Bauhaus ou de Le Corbusier modèle de nouveaux espaces de vie.
L'exposition préfère mettre en évidence le polymorphisme de la créativité qu'un mouvement artistique particulier. Ce sont donc des œuvres très diverses qui traduisent ce foisonnement : peinture, sculpture, dessin, photographie, film, collage, mode et design. Cet éclectisme montre une convergence des recherches artistiques malgré la diversité des politiques nationales. Le conflit n'a pas seulement fait des vainqueurs et des vaincus, mais initié un besoin de changements sociétaux pour surmonter les blessures.




Le site du Kunsthaus

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Les enfants du Platzspitz

Les Enfants du Platzspitz, de Pierre Monnard (Suisse, 2020), avec Luna Mwezi, Sarah Spale, Anouk Petri, Delio Malär, Jerry Hoffmann, 1h40.

On pourrait presque dire que la dépendance de Sandrine à l’héroïne est comparable à la dépendance de Mia à [sa mère] Sandrine.

André Küttel (auteur) et Pierre Monnard (réalisation)

À la veille des élections fédérales de 1991, les autorités bernoises et zurichoises décident de fermer les scènes ouvertes de la drogue qui signent l'échec d'une politique surtout répressive de la drogue. La stratégie de libéralisation dans des espaces restreints pour contenir l'expansion de l'addiction avait vécu.
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Le livre des départs

Čolić Velibor, Le livre des départs, Gallimard 2020.

En nous plaçant entre départs et arrivées, l'écrivain francophone d'origine bosniaque nous implique dans la question des identités... et du prix social de l'intégration.

Je m'appelle Velibor Čolić, je suis réfugié politique et écrivain. Entre le ciel et la terre, j'occupe un espace de 107 kilos et de 195 centimètres. Je suis polyglotte. J'écris en deux langues, le français et le croate. Mais il me semble que maintenant j’ai un accent, même en écrivant. C’est ainsi. Ma frontière, c’est la langue ; mon exil, c’est mon accent.
J'habite mon accent en France depuis vingt-six ans. Toute une vie, en fait. Et je me sens bien, tellement bien qu’il m’arrive souvent de penser : tiens, je suis français.

p. 11

Par cette ouverture, l'auteur se présente en individu fort et solide. C'est masquer une fragilité que le narrateur est prompt à dissoudre dans l'alcool. Čolić est cependant conscient que sa situation est plutôt enviable : rien ne le distingue physiquement du Français qu'il aimerait devenir. Ses difficultés d'intégration provoquent pourtant une mélancolie qui le ferait douter des traumatismes subis à la guerre.

Je suis le chien de la gare. Je passe mon temps dans les couloirs malades, obscurs de la gare de Strasbourg. Je découvre et je savoure cette double tristesse, de ceux qui partent et de ceux qui restent, je me déplace à la lisière de deux mondes. J’aère mon exil. Je le sors comme un chien qui renifle des arbres au parc et aboie sur les étoiles.

p. 50

Il découpe son roman en courtes tranches volontiers facétieuses, parfois rustres pour masquer les blessures d'un départ vers une destination si lointaine à atteindre. “Les chapitres sont courts, instables, libres. Des lucioles de [sa] propre autobiographie”.

Site de l'éditeur
Les écrivains face au virus

Monique Jacot

Transferts et héliogrammes

Monique Jacot by Erling Mandelmann

Monique Jacot by Erling Mandelmann


Après une vie d'engagement pour une meilleure prise en considération de la femme et pour une ouverture au monde par ses sujets de photo-reportages sensibles, Monique Jacot a développé une œuvre artistique plus abstraite. Les transferts Polaroïd lui permettent de réutiliser sa photothèque pour mettre en évidence un regard ou créer un imaginaire à partir d'un insecte ou d'un végétal.
En déposant des objets sur des gélatines photosensibles, utilisées ensuite pour graver une plaque de cuivre, l'artiste produit des compositions d'une grande légèreté et d'un fort potentiel poétique, en particulier lorsqu'elles emploient des plumes.

Le site du musée
Dossier de presse
Stéphane Gobbo pour Le Temps
Florence Grivel pour RTS culture
Prix suisse de la culture 2020Interview

Olga

Schlink Bernhard, Olga : Gallimard, Du monde entier, 2019.

Par sa construction, de manière sous-jacente, le roman de Schlink traite la problématique de l'élaboration de la mémoire. C'est par l'ensemble de sa vie qu'Olga devient emblématique d'un pan de l'histoire allemande. Le récit, inscrit dans un espace temporel long, comme Le liseur, se caractérise par trois styles bien différenciés.

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L'autre moitié du soleil

Adichie Chimamanda Ngozi, trad. de Pracontal Mona, L'autre moitié du soleil, Folio Gallimard, 2018.

Placé sous l'emblème du drapeau biafrais, ce roman de Chimamanda Ngozi Achidie remonte à l'indépendance du Nigeria en 1960 et aux convulsions qui s'en suivirent.

"Good afternoon, sah! This is the child," Ugwu's aunty said.
Master looked up. His complexion was very dark, like old bark, and the hair that covered his chest and legs was a lustrous, darker shade. He pulled off his glasses. "The child?"
"The houseboy, sah."
"Oh, yes, you have brought the houseboy. I kpotago ya." Master's Igbo felt feathery in Ugwu's ears. It was Igbo colored by the sliding sounds of English, the Igbo of one who spoke English often.
"He will work hard," his aunty said. "He is a very good boy. Just tell him what he should do. Thank, sah!"
Master grunted in response, watching Ugwu and his aunty with a faintly distracted expression, as if their presence made it difficult for him to remember something important. Ugwu's aunty patted Ugwu's shoulder, whispered that he should do well, and turned to the door. After she left, Master put his glasses back on and faced his book, relaxing further into a slanting position, legs stretched out. Even when he turned the pages he did so with his eyes on the book.

p. 17-18


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La Suisse et les nazis

Boschetti Pietro, Les Suisses et les nazis : le rapport Bergier pour tous, Zoé poche, 2010.

Séance de rattrapage : le petit ouvrage de Pietro Boschetti est déjà paru sous ce format en 2010. Il fait une brève synthèse des plus de 11 000 pages de rapports de la commission Bergier.
Il y a 25 ans, à l'occasion du 50e anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale, la presse israélienne revendique la restitution des fonds déposés en Suisse par des juifs morts dans les camps de concentration, les fonds en déshérence. Cette demande provoque une tempête, en particulier après l'intervention du Sénat américain et du Ministère britannique des affaires étrangères.

Tout se passe comme si la bonne marche des affaires avait prévalu sur toute autre considération. Les dirigeants des grandes banques ont défendu leur position en invoquant le principe de la «liberté des affaires ». Ils ne se sont pas posé la question de savoir si ces prestations contribuaient à faire tourner l’économie de guerre du Troisième Reich. Bref, pour eux c'était du «Business as usual».

p. 100

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King Kong théorie

Despentes Virginie, King Kong théorie, Grasset, Livre de Poche, 2006.

C'est mon côté classe moyenne, il y a des évidences que je peine à avaler, et je manque tout le temps de subtilité.

p. 76

Essai politique à forte composante autobiographique le texte de Virginie Despentes décoiffe. Plus subtil que le style direct de "cet essai plein de gros mots" –  – le laisse supposer, ce livre interroge la place de la femme dans l'espace public.
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Le chapeau de M. Briggs

Colquhoun Kate, Le chapeau de M. Briggs : récit sensationnel du premier meurtre commis à bord d'un train anglais, 10/18, 2012.

En menant à la fois une enquête policière et une réflexion sur le traitement d'une affaire criminelle, Kate Colquhoun tient en haleine ses lecteurs sans utiliser les codes du genre.
L'autrice met en évidence les paradoxes de la société victorienne révélés par cette affaire. L'émotion causée par la mort en 1864 de Mr Briggs est liée à sa survenue dans un train de banlieue. Bien que le réseau de chemin de fer soit déjà très étendu et contribue au développement de la société britannique, ce moyen de locomotion suscite encore des craintes vivaces. Par ailleurs, Mr Briggs ayant pris place dans un compartiment de première classe, il était sensé y être protégé des dangers que pouvaient représenter les classes populaires.

Le Liverpool Mercury n’était pas le seul à décréter que l’Allemand était coupable. Bien que la règle de la présomption d’innocence jusqu’à preuve du contraire fût inscrite dans la loi anglaise, la presse victorienne ne faisait guère cas de l’interdiction d’éveiller des préjugés à l’encontre des suspects ou des détenus en attente de jugement. Cependant, le fait que la moindre rumeur (aussi erronée ou venimeuse fût-elle) pouvait être publiée en vue d’augmenter les tirages suscitait bel et bien un frisson de malaise dans les milieux judiciaires.

p. 147-148

La piste de l'assassin présumé a conduit les enquêteurs jusqu'à New York. Cette poursuite mettant en concurrence plusieurs générations de transatlantiques a permis aux quotidiens de gonfler leurs tirages. Le rôle de la presse, par ses révélations détaillées de l'enquête, a aussi joué un rôle dans la formation de l'opinion, en particulier celle des jurés. A-t-elle contribué à déterminer le verdict ? Celui-ci prononcé, les journaux ont poursuivi leur pression en vue d'une issue morale de l'affaire. Cette tentative de sauver les apparences est révélatrice des tensions parcourant une société divisée dont les strates aisées avaient besoin d'une caution de bonne conduite… qui n'est pas sans rappeler la référence au Law & Order dont se réclame la Présidence américaine – .

Nicolas Dufour pour Le Temps
Le site de l'éditeur

À fleur de peau

À fleur de peau. Vienne 1900, de Klimt à Schiele et Kokoschka
Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne

Premier retour au musée après la fermeture des lieux de culture…
Les salles généreusement dimensionnées de Plateforme 10 permettent de découvrir l'accrochage sans trop se soucier de l'éloignement des corps. Une précaution qui résonne étrangement alors que la thématique pour aborder ce chapitre de l'histoire de l'art est précisément la peau.
Autre trait ironique, la Sécession viennoise a lieu alors que l'Empire austro-hongrois vit ses dernières heures. Schiele et Kokoschka, et dans une moindre mesure Klimt et Gerstl, sont les précurseurs de l'expressionnisme. Alors, on ne parle pas de nouvelles normalité, une stabilité politico-économique qui sera lente à établir.
La représentation des corps, nus, met un accent particulier sur la texture de la peau qui devient vibrante chez Klimt. L'épiderme forme une véritable barrière que la peau soit diaphane ou que les corps, chez Schiele, écorchés.
Cet accrochage est complété de pièces d'art décoratif qui attestent des recherches d'un art total. Cette approche exhaustive de l'art caractéristique de l'école de Vienne est aussi mis en évidence à la Neue Galerie de New York.

Le site du MCBA
Virginie Nussbaum pour Le Temps

Jacques et la corvée de bois

Lebreton Marie-Aimée, Jacques et la corvée de bois, Buchet/Chastel, 2020.

Dans une grande économie de mots, le roman de Marie-Aimée Lebreton évoque la Guerre d'Algérie. Par la diversité des impressions visuelles, l'autrice montre que l'indifférence de Jacques n'est qu'apparence.
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Un monstre qui parle

Preciado Paul B. Je suis un monstre qui vous parle. Rapport pour une académie de psychanalystes. Grasset 2020.

Le philosophe Paul B. Preciado est très présent dans les médias. Ses prises de position quant à une rupture en cours, comparable à celle de l'invention de l'imprimerie, ont un écho dans un monde en crise. Son intervention de novembre 2019 au congrès de psychanalystes de l'Ecole de la cause freudienne en France, qui est l'objet de cet essai, rappelle ses thèses dans un registre accusateur.
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Purple Hibiscus

Adichie Chimamanda Ngozi. Purple Hibiscus. Algonquin Books of Chapel Hill. ed., 2012.

En racontant l'adolescence d'une jeune nigériane dans une famille rigoriste, Chimamanda Ngozi Adichie publie un roman de formation. Le contexte postcolonial d'Enugu lui permet d'aborder différents thèmes politiques et sociaux.
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Moissons funèbres

Ward Jesmyn. Les Moissons Funèbres. 10/18 Globe, L'école des loisirs, 2016

Le privilège de recevoir une bonne éducation et la perspective de grimper un jour l’échelle sociale, je les devais aux mains de ma mère et à son inexorable coup de balai. Tout cela était injuste.

p. 230

Le récit autobiographique de Jesmyn Ward donne un éclairage vibrant sur le racisme ordinaire aux États-Unis. En pleine vague provoquée par la mort violente de George Floyd et le flux d'images symboliques qui l'a suivie, ce texte témoigne de l'importance de l'estime de soi. Lire plus…

L'Arabe du futur

Sattouf Riad, L'Arabe du futur, Une jeunesse au Moyen-Orient.
Tome 1 – 1978-1984, Allary
Éditions, 2014
Arabe futur no1
Fils d'une Bretonne et d'un Syrien venu étudier en France, le jeune Riad est confronté au nationalisme de son père. Ce dernier, détenteur d'un doctorat en histoire, est convaincu de pouvoir faire évoluer le monde arabe en lui apportant l'éducation. Il postule donc à des postes en Libye puis en Syrie où sa famille le suit. Bien qu'ayant apprécié la liberté offerte par la société occidentale, française en l'occurrence, son obsession de la réussite l'aveugle. Impossible pour le père de percevoir les dérives autoritaires de Mouammar Kadhafi et de Hafez Al-Assad.
Dans le premier volume, qui se rapporte à ses six premières années de vie, Riad Sattouf représente un monde dont il perçoit les incohérences. La violence entre pairs, la cruauté envers les animaux sont des éléments qui le retiennent à l'intérieur, dans le monde des femmes. Son père le voudrait viril, même si lui-même ne se montre pas très courageux quand il s'agit de protéger la famille restreinte. Pris entre les rêves de grandeur du père et la réalité d'une vie confinée dans un environnement hostile dont il ne maîtrise pas la langue, Riad évolue dans un contexte incompréhensible pour un enfant. Il voit sa mère s'étioler en se conformant aux injonctions d'un mari soumis à la loyauté familiale, dans le sens large du cousinage au détriment du couple.
Par son langage direct, Sattouf semble régler un compte avec son père. S'il ne l'épargne pas, il s'en prend bien plus sûrement à tous les convaincus de leur supériorité, à tous ceux qui sont aveuglés par leur idéologie.

Ma passion pour mon moyen d'expression m'a sauvé.

RTBF – 28.11.2018


Entrer sans frapper RTBF

Les toupies d'Indigo Street

Gagnière Guillaume. Les toupies d'Indigo Street. D'autre part, 2020.

La filiation de ce premier texte publié de Guillaume Gagnière avec l'œuvre de Nicolas Bouvier est revendiquée. L'auteur nous apprend que l'essence du voyage est plus profonde que la collection d'instantanés qu'il nous offre, soigneusement colorés par une langue savoureuse. Le cisèlement des phrases révèle l'influence de son prédécesseur.
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Sur ses pas

Vuillème Jean-Bernard. Sur ses pas. Roman. Zoé 2015.

D'où vient la clé que Pablo Schötz trouve peu après ses soixante ans ? Quelle porte ouvre-t-elle ? Ses interrogations l'amènent à retourner dans chacun des lieux où il a été domicilié.

On ne se débarrasse pas de l'enfance, on aimerait toujours baigner dans cet horizon immense, ce temps si vaste, mais il se perd dans cette éternité et on ne le retrouve pas en revenant sur ses pas. Schötz marche vers l'adresse où il a passé les dix premières années de son existence. Il foule le sol de ses premiers pas, longe le trottoir sur lequel un petit garçon poussait sur les pédales de son tricycle. Ce petit garçon n'existe plus, c'était lui, Schötz, on ne le verra pas aujourd'hui reprendre ses anciennes chevauchées sur son tricycle, même adapté à sa taille adulte

p. 26


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Finis Terrae

Tiberghien Gilles A. Finis Terræ : Imaginaires et imaginations cartographiques. Bayard, Le rayon des curiosités. 2007.

Le sous-titre de cet essai ne pouvait qu’éveiller ma curiosité. La diversité graphique des cartes traduit une signature nationale de ces outils de référence. La volonté humaine de contrôler chaque parcelle de la planète Terre conduit à une saturation d'informations sur les territoires qui implique de trouver des subterfuges pour les communiquer. Le choix de représenter, ou non, certains éléments du paysage renforce leur participation à l'identité culturelle.
Mais aussi exhaustives soient-elles, les cartes laissent une part de mystères en donnant à imaginer leurs interstices.

[Les] cartes purement fictives parlent aussi de nous, mais plutôt de la disposition de notre esprit à comprendre le monde où nous pourrions vivre plus que celui où nous vivons vraiment, même si l’un n'est parfois que le prolongement de l’autre.

p. 16

Ces représentations graphiques de l'espace ont historiquement servi à illustrer le monde, mêlant représentations schématiques et illustrations picturales. Les portulans et les cartes ont servi à décrire les voies maritimes et terrestres. Ce support de planification tend aujourd'hui à être remplacé par des assistants de navigation qui occultent la connaissance du territoire en livrant leurs itinéraires préétablis.
Aussi actuelles soient-elles les cartes sont toujours en décalage avec la réalité, labile par essence. Tiberghien rappelle que certaines cartes ont accrédité des hypothèses, notamment le passage du Nord Ouest entre le Pacifique et l’Atlantique, induisant en erreur d'éminents explorateurs.
Dans son essai l'auteur s'intéresse à la genèse des cartes actuelles et à leur fonction de support à la compréhension de l’espace. Il fait une grande place à l'utilisation des concepts cartographiques dans l'art, en particulier en ce qui concerne l'œuvre de
Robert Smithson connu pour ses interventions dans le land art. Ces incursions permettent à Tiberghien de questionner les cartes comme support de représentation d'une réalité et comme déclencheur de notre imaginaire.

Toute carte est un rapport complexe entre temps et espace : le temps de la production et celui de la lecture d’une carte, le temps où se situe le cartographe, son univers culturel et historique et celui de l'utilisateur de la carte lié à des préoccupations souvent très pragmatiques, etc., bref la combinaison d'un ensemble de paramètres que résume bien la formule entourée d’un cercle au sommet d’une flèche qui, sur certains indicateurs, pointe un endroit précis du plan : « Vous êtes ici», sous entendant, ipso facto, « maintenant ».

p. 188



Projet Finis Terræ sur l'Île d'Ouessant

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Le Nouveau Testament sans tabous

Butticaz Simon. Le Nouveau Testament sans Tabous. Labor et Fides 2019.

Dans son dernier essai, Simon Butticaz aborde sept thématiques entre sciences sociales et théologie. Ces problématiques conduisent trop souvent à des prises de position dogmatiques, des avis tranchés préjudiciables à l'expression d'une foi fluide donc vivante. Il ne s'agit pas de s'adapter à une mode mais d'accueillir les mutations d'un corps social.

[Qui] dit lecture critique des Écritures ne vise pas en premier lieu une déconstruction des discours, des pratiques et des valeurs que les auteurs bibliques portent au langage. La critique n’est pas, en premier lieu, celle de la Bible. Ce sont nos préjugés de lecture, nos projections sur les textes, nos horizons d'attente que l’exégèse prend pour cible : l’interprétation critique est un geste d’émancipation ; elle libère la Bible du corset des idéologies qui en retiennent le sens captif et qui en tordent le «nez de cire », selon la jolie expression de Martin Luther. On l’aura compris : il n’y a de lecture respectueuse de la Bible qui ne soit premièrement critique... du lecteur et de la lectrice !

p. 23-24

En étudiant des questions politiques et sociales actuelles au regard des textes bibliques, Simon Butticaz montre la force que peut dégager l'Évangile indépendamment de citations réductrices. Son chapitre "le tombeau était-il vide ?", plus fondamentalement théologique, ose interroger sur le cœur de la croyance chrétienne, la foi en la résurrection, la résurrection de la chair (carnis resurrectionem) précisent même certains credo.
L'auteur se réfère aux textes de manière critique pour ouvrir toutes les portes. Sa conviction est qu'une foi vivante n'a de sens que si la croyance n'est pas aveugle. La compréhension, par la recherche active de sens, devient acte de foi. En abordant ces tabous notamment la place de la femme, l'homosexualité ou l'esclavage, Simon Butticaz se garde bien d'un relativisme social moderne, qui s'opposerait à une morale conservatrice. Il conserve à l'esprit que la Bible ne contient pas les réponses toutes faites à des problématiques contemporaines et que les valeurs actuelles ne peuvent pas servir de clé de lecture de ce corpus de textes. Son exégèse rigoureuse, parfois subtile, atteint son objectif de nourrir la réflexion.

Le site de l'éditeur
Présentation du livre par l'auteur
Interview de l’auteur sur reformes.ch
Antoine Peillon pour La Croix

Les Indes fourbes

Ayroles Alain et Guarnido Juanjo. Les Indes Fourbes. Delcourt 2019.

Le titre complet, Les Indes fourbes ou une seconde partie de l'histoire de la vie de l'aventurier nommé Don Pablos de Ségovie, vagabonds exemplaire et miroir des filous ; inspirée de la première, telle qu'en son temps la narra don Francisco Gómez de Quevedo y Villegas, chevalier de l'ordre de Saint Jacques et seigneur de Juan Abad, est tout un programme.
Que ne ferait-on pas pour atteindre l'Eldorado  ? Ayroles se révèle brillant scénariste en composant cette aventure picaresque du gueux Pablos. Dans cette quête de la fortune, le héros perçoit la possibilité de duper ses contemporains. à son profit. Ayroles et Guarnido soulignent les extravagances du récit, les différentes versions de la destinée de Pablos, par une riche palette graphique. Ces diverses variations sont suggérées tantôt par la reprise du texte, tantôt par les cadrages. Cette construction marque d'une touche ironique le portrait que Pablos fait de son hallucinante existence.

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Love Me Tender

Debré Constance. Love Me Tender : Flammarion. 2020

Je ne vois pas pourquoi l’amour entre une mère et un fils ne serait pas exactement comme les autres amours. Pourquoi on ne pourrait pas cesser de s'aimer. Pourquoi on ne pourrait pas rompre. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas s'en foutre, une fois pour toutes, de l'amour, de l'amour prétendu, de toutes les formes d'amour, même de celui-là, pourquoi il faudrait absolument qu on s'aime, dans les familles et ailleurs, qu’on se le raconte sans cesse, les uns aux autres ou à soi-même.

p. 9

Dans son roman, Constance Debré aborde diverses facettes de l'amour. Contrairement à ce que pourrait laisser attendre le titre ce n'est pas de tendresse dont il est question. "Gender", phonologiquement proche, s'adapterait davantage au contenu, du moins pour celui qui découvre cette autrice.
La fiche Wikipédia situe Mme Debré dans une constellation familiale de notables de la République. Est-ce par loyauté qu'elle est devenue avocate, épouse et mère ? Ces fonctions sont un carcan qu'elle rejette avec vigueur, rompant radicalement avec ce passé pour assumer une autre orientation sexuelle et devenir écrivain.
Love Me Tender développe cette mue, paradoxale et ses conséquences. Aux contraintes de normes sociales et/ou de la loyauté, Constance Debré préfère soumettre son corps à d'autres codes. Le besoin de se forger une nouvelle identité passe par un détachement de soi, allant jusqu'à accepter la précarité matérielle, et la transformation du corps par la pratique soutenue de la natation et son marquage par le tatouage.

Qu'est-ce que j'y peux si je ne les aime plus, si je n'ai plus envie d’elles, qu'est-ce que j’y peux et qu'est-ce qu’elles y peuvent ?

p. 133

Cette démarche n'est pas dénuée d'ambiguïtés. Les références autobiographiques de Love Me Tender ne peuvent que l'exposer aux regards de la société dont elle aimerait se retirer. À mon sens, elle n'est pas dupe de cette équivoque. Sa difficulté à établir une relation sexuelle et amoureuse est une expression de cette fragilité.
Plus encore, éprouver ce qu'un grand nombre d'hommes vit dans les divorces conflictuels, à savoir le soupçon de corruption de son enfant, l'incite à une radicalité dans son existence. Ce corps qui évolue vers l'androgynie évoque le fil entre anorexie amoureuse et boulimie sexuelle.
Love Me Tender est une exhortation à la perpétuation des liens de la filiation quoiqu'il advienne. C'est par la relation à son propre père que la narratrice reconstruit le lien à Paul, son fils. C'est pourtant au maintien de ces fils ténus qu'elle attribue sa difficulté à être pleinement soi.

Le site de l'éditeur
Matthieu Mégevand pour Le Temps

Le veau et la diligence

Peter von Matt. La Poste du Gothard ou Les états d'âme d'une nation : Promenades dans la Suisse littéraire et politique. Zoé, 2015.

Le narratif est une composante importante de la constitution d'une unité nationale. Professeur émérite de littérature allemande à l’Université de Zürich, l’auteur est légitime pour décrypter cette construction de l’histoire suisse.
Singulièrement, il s’appuie sur l’iconographie pour déconstruire le mythe du Suisse, sauvage heureux dans sa montagne.

[Une] société est plus fortement régie par son imaginaire collectif que par les faits historiques. L'imaginaire ne se soucie pas de l’état de l’évolution historique. Si les faits le contredisent, l'issue n’en est que pire pour les faits eux-mêmes. Ni les résultats de la science, ni les arguments de la raison ne pèsent face à l'imaginaire collectif. Il exerce un pouvoir aussi puissant sur les êtres que les hormones. La Suisse n’est pas un Sonderfall mais elle a simplement un imaginaire particulier.

p. 58

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Grand National

Buti Roland. Grand National. Zoé 2019.

Une écriture fluide, voire nonchalante, pour traiter de la Suisse contemporaine. Le ton tranche avec l'atmosphère dramatique du Milieu de l'horizon qui, se rapportant à la sécheresse de 1976, marquait la fin d'une époque ou, pour le moins, une césure dans la vie des agriculteurs.

La camionnette était garée sous un gros érable transformé en boule sonore. Des oiseaux piaillaient de concert avec une folle énergie, exactement comme s’ils jouaient à savoir lequel d’entre eux allait mourir le dernier d’épuisement. On aurait dit une clameur d'abandon et de désespoir.

p. 54-55

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La première pierre

Jourde Pierre. La Première Pierre. Gallimard 2013.

Ce récit témoigne d'un événement à forte charge émotionnelle vécu par Pierre Jourde en un lieu auquel il est très attaché. Dans un précédent texte, Pays perdu, l'auteur avait raconté le coin d'Auvergne dont il est originaire. La situation isolée de ce hameau en fait-elle le berceau d'une idylle ? Lire plus…

L'homme qui marche

Taniguchi Jirō, L'Homme qui marche. Casterman, 2017.

Ce magnifique manga invite à la rêverie et au détachement. Suggéré par un éditeur ouvert à la bande dessinée hors du Japon, ces planches ne correspondent pas à l'idée que l'on se fait du genre. Les dessins de Taniguchi sont tout en retenue; ils suggérent la contemplation, l'intériorisation de l'environnement immédiat. Lire plus…

Suisen

Shimazaki Aki. Suisen : Roman. Actes Sud, 2016.

Autrice canadienne francophone née au Japon, Aki Shimazaki a une écriture particulière qui évoque les petits pas pressés d'une femme en kimono. Phrases courtes, sans fioritures dont les seuls mots compliqués sont empruntés à sa langue maternelle.
Malgré la simplicité de sa trame, une sorte de fable, ce roman est attachant à l'inverse de son protagoniste Gorô. Le dirigeant de l'entreprise Kida a la cinquantaine arrogante et prétentieuse.

–  Éduque bien nos enfants, surtout Jun. Ils doivent m'obéir. C'est ta responsabilité de mère !

p. 83

Il requiert soumission de son épouse et disponibilité de ses maîtresses.
Lorsqu'un chat abandonné, noir de surcroît, croise sa route, Gorô réalise que son ambition de plaire est le moteur de sa vie.

Eléonore Sulser pour Le Temps
Le site de l'éditeur

Élégie pour un Américain

Hustvedt Siri. Elégie pour un Américain. Roman. Babel. Actes Sud, 2008

En intégrant dans son roman des extraits des Mémoires de son père à l'usage de ses proches, Siri Hustvedt, lui ajoute une forte composante autobiographique. Cette dimension est confirmée par la Chronique d'hiver de son mari, Paul Auster. Lire plus…

Stanislas Nordey

Qui a tué mon père, Lausanne, Théâtre de Vidy

Quand on parle d’un parent mort à la guerre, c’est une histoire que tout le monde peut entendre. Mais comment écrire la mort sociale d’un homme qui fait partie de ceux qu’on appelle les "exclus" ou ceux que les gouvernants nomment "les fainéants", et sur lequel les gouvernements successifs se sont acharnés ? Il y a des morts plus "littéraires" que d’autres.

Édouard Louis

La prestation de Stanislas Nordey, la déclamation du Qui a tué mon père d'Edouard Louis, est une performance qui renforce le propos du livre.
Porte-voix de l'auteur, Nordey est crédible tant dans la restitution des souvenirs de celui qui s'appelait encore Eddy Bellegueule que lorsqu'Edouard Louis souligne la responsabilité des politiciens dans l'exclusion de toute une classe sociale.
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Ma vie sans moi

My life without me, d'Isabel Coixet (Canada, Espagne 2003), avec Sarah Polley. 1h42

Ann, 23 ans, découvre que c'est un cancer à un stade avancé qui est à l'origine de ses étourdissements. Don, son mari, occupe des emplois occasionnels. Avec leurs deux filles, ils vivent dans une caravane au fond du jardin de la mère d'Ann. Comment vivre le reste de sa vie ?

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Chefs-d’œuvre suisses

Fondation Pierre Gianadda – Chefs-d’œuvre suisses – Collection Christoph Blocher

Blocher dit "prendre toujours des décisions instinctives quand il s’agit d’art". Sa collection montre une appétence certaine pour les scènes enfantines d'Albert Anker, artiste dont-il possède une centaine de peintures. Cet attrait pour l'enfance marque, selon le curateur Matthias Frehner, la volonté d'Anker d'illustrer le changement du statut de l'enfant avec l'instauration de l'école obligatoire (Constitution de 1874). Ces scènes réalistes, comme les portraits de personnes âgées, suscitent une émotion qui a probablement contribué à leur succès.
Autre pillier de la collection, les paysages de Hodler, Ces toiles, bien que plus symboliques, présentent aussi l'image de la Suisse éternelle qui domine toute l'exposition.

Le dossier du Nouvelliste
Dossier de presse

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Edward Hopper

Fondation Beyeler

Study of a Landscape with Train Passing Houses Whitney Museum


Cette exposition de l'artiste américain Edward Hopper (1882-1967), en partenariat avec le Whitney Museum of American Art, New York, présente une soixantaine d'œuvres en provenance, pour l'essentiel, de musées d'Outre-Atlantique.

Mon objectif en peinture a toujours été la transcription la plus exacte possible de mes impressions les plus intimes de la nature.

Edward Hopper
Notes on painting, 1933

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Vivace - hiver 2020

Giacomo Puccini - Messa di Gloria
Félix Mendelssohn - Psaume 95

Choeur Vivace et Ensemble Choral de la CôteSinfonietta de Lausanne
Direction: Garrett Keast
Préparation chorale: Christophe Gesseney
Solistes : Samantha Britt, Claire Singher, Stefan Sbonnik, Daniel Ochoa

Le procès de Viviane Ansalem

Gett – Le procès de Viviane Amsalem, de Ronit Elkabetz et Shlomi Elkabetz (Israël-France-Allemagne 2014), avec Ronit Elkabetz, Simon Abkarian, Menashe Noy, Sasson Gabai, Eli Gornstein, Albert Iluz. 1h55.

Le titre original, gett, acte de divorce en hébreu, claque dans sa brièveté en totale opposition avec le tempo du film qui s'étire jusqu'à en devenir oppressant.
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Le mal du voyage

affiche MEN
Musée d'ethnographie de Neuchâtel (MEN)

L'exposition Le Mal du voyage interroge sur l'apport du voyage à la construction de soi. À l'ère du flygskam, la honte de voler, cette présentation incite à trouver un équilibre entre les injonctions sur les manières justes d'entreprendre un voyage et les bénéfices que l'on peut en retirer.
Je retrouve la marque de fabrique du MEN dans la mise en avant de la réflexion philosophique plutôt que celle d'objets de diverses provenances. Cependant, en présentant divers objets-souvenirs, les concepteurs montrent que la production artisanale peut perdurer et se renouveler sous l'influence du tourisme.

Site du Musée
Sylvie Lambelet et Tribu pour la RTS

PS : Emmanuel Gehrig pour Le Temps

Chronique d'hiver

Auster Paul. Chronique d'hiver. Babel, Actes Sud, 2013.

Tout livre de mémoires comporte des trous, il est évident qu on ne peut raconter certaines histoires sans faire de la peine à d’autres ou à soi même, qu’une autobiographie est sous-tendue par des questions de perspective et de connaissance de soi, des refoulements et de franches illusions.

Élégie pour un Américain
Siri Hustvedt, p. 20

Dans sa chronique, Paul Auster fait un inventaire de sa vie. Ecrit alors que l'écrivain new-yorkais avait 64 ans, ce texte est une collection des souvenirs qui font un homme et… Lire plus…

Doña Francisquita

Comédie lyrique en trois actes de Amadeo Vives (1871-1932)
Livret de Federico Romero et Guillermo Fernández-Shaw d’après Lope de Vega


Cette zarzuela a été travaillée pour l'exportation, en supprimant les importantes parties parlées liées à ce style espagnol. Il en résulte un spectacle attrayant dont la troisième partie est essentiellement dansé. Les voies servent magnifiquement l'œuvre. Lire plus…

Vers la lumière

Vers la lumière (Hiraki), de Naomi Kawase (Japon, France, 2017), avec Ayame Misaki, Masatoshi Nagase. 1h41.

L’un perd la lumière, l’autre la décrit et tout deux parlent d’un rapport au monde, au cinéma et à la mémoire.

Naomi Kawase

Misako exerce une profession singulière : audiodescriptrice (> CNC Centre national du cinéma et de l’image animée). Elle permet ainsi l'accès du cinéma aux non-voyants. Naomi Kawase en réalisant ce film se place dans une situation particulière : faire comprendre à ses spectateurs, en s'appuyant sur l'image, les enjeux de cette profession.

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Critique de la violence

Benjamin Walter. Pour une critique de la violence. Allia 2019.

Les réflexions de Philippe Lutz m'accompagnent dans mes lectures. Liens qui se tissent entre les livres : passé modeste que Lutz partage avec Tiziano Terzani… Expérience plutôt que dissertations chez ce dernier qui suggère qu'il est “inutile de lire les philosophes allemands”
Benjamin violence couverture
.

Et si la police peut paraître partout semblable jusque dans les détails, il ne faut pas finalement se méprendre: son esprit est moins dévastateur dans la monarchie absolue, où elle représente la violence d’un souverain qui réunit en lui l’omnipotence législative et exécutive, que dans les démocraties, où son existence, soutenue par aucune relation de ce type, témoigne de la plus grande dégénérescence possible de la violence.

p. 27



Ce clin d'oeil paraît pertinent après la lecture de cet article traduit de la revue Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik 1920-1921. Benjamin, dans un contexte politique exacerbé, y débat de la légitimité de la violence. Dans une approche toute philosophique, il fait quelques références à la grève, à la guerre et aux révolutions bolchevique et allemande contemporaines. Ces rares incursions concrètes ne suffisent pas à me rendre son essai moins abscons.

Le site de l'éditeur

Bruno Manser

Bruno Manser – La Voix de la forêt tropicale, biopic de Niklaus Hilber (Suisse, 2019), avec Sven Schelker, Nick Kelesau, Elizabeth Ballang, Matthew Crowley, David Ka Shing Tse, 2h21

Bruno Manser Fonds

Bruno Manser dessine et écrit dans son journal en automne 1989. Au premier plan, le gibon Uut. Photo: James Barclay – BMF



Le Gouvernement du Sarawak, état malais, considérait Bruno Manser comme naïf et insensé. Son action était sous-tendue par un certain romantisme, mais pourtant toujours cohérente et réfléchie.
Le succès du biopic Bruno Manser – voix de la forêt tropicale atteste de sa notoriété, vingt ans après sa mystérieuse disparition.

Il faut des personnes qui sont un peu monomanes, qui incarnent une idée et font tout pour transmettre entièrement cette idée à d'autres personnes. Il nous faut de tels visionnaires, il nous faut ces personnes qui non seulement ressentent soudainement une situation comme intolérable, mais qui expliquent et le montrent jusqu'à ce d'autres personnes ressentent aussi ce caractère intolérable.

Ruth Dreifuss
«Bruno Manser: Fasten für den Regenwald»

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La tête haute

La Tête haute, d’Emmanuelle Bercot (France, 2015), avec Catherine Deneuve, Rod Paradot, Benoît Magimel, Sara Forestier. 1h59.

Encore un film qui montre le monde tel qu'il est… même si nous aimerions occulter cette réalité. Emmanuelle Bercot fait remonter l'origine de cette production au lien créé dans un trio réel constitué d'un jeune délinquant, de son éducateur, l’oncle de la réalisatrice, et d'une juge des mineurs. La force de ce film est d’“ancrer le récit dans un parti-pris radical, en nous concentrant sur le processus éducatif, en sortant le moins possible des structures éducatives qui jalonnent le parcours d’un mineur délinquant.”
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Gloria Mundi

Gloria Mundi, de Robert Guédiguian (France, 2019), avec Ariane Ascaride, Anaïs Demoustier, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, 1h47.

Le hasard du calendrier veut que la sortie suisse de cette production soit programmée à la veille du début de la saison de grèves de l’hiver 2019-2020. Un mouvement qui prend en otages certains employés, à l’image de Sylvie dans le film. Un opus sombre qui invite à la réflexion, si ce n’est à l’engagement politique.

J’ai toujours pensé que le cinéma devait nous émouvoir parfois par l’exemple pour nous montrer le monde tel qu’il pourrait être ; parfois par le constat pour nous montrer le monde tel qu’il est.

Robert Guédiguian
Note d'intention

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Le mariage des moussons

Le Mariage des moussons, 2001. Comédie dramatique réalisée par Mira Nair avec Naseeruddin Shah, Lillete Dubey, Vasundhara Das (1h54)

Encore un film malin pour aborder les paradoxes des sociétés globalisées. Lire plus…

L'homme qui aimait les livres

Lutz Philippe, L'homme qui aimait les livres, récit. Médiapop, 2019

Ce récit de vie, au travers de la lecture, induit une réflexion sur la construction de la pensée.

Aucun parent, aucun enfant, aucun ami ne nous offrira jamais [cette diversité].
Tout cela bien sûr fonde notre imaginaire, notre savoir, notre sensibilité.
Tout cela nous humanise.
Sans livres, chacun les siens, selon les hasards de l'existence et les nécessités de chacun, nous passerions nos vies dans une infinie solitude.

p. 143

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