Immigration, une crise ?

Imbert Louis. Immigration : fabrique d'un discours de crise. 10/18, Amorce, 2022.

L'essai synthétique de Louis Imbert rappelle l'historique de la question des étrangers dans le politique française et plus généralement européenne. Les variations d'un vocabulaire toujours acéré sont liées au contexte économique. Plus précisément, les critiques les plus virulentes sont assourdies lorsque tous les bras comptent.

Si la France est un cas d'étude édifiant, la rhétorique d'invasion et de crise n'est pas une exception française. Elle s'est enracinée sous toutes ses formes à travers l'Europe et au-delà. Nombre de leaders populistes s'en sont emparés pour agiter les peurs et conquérir le pouvoir.

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L'avènement de l'état-nation et la construction de mythes rassembleurs – et, probablement, la mobilité liée au développement industriel – ont accru l'antagonisme entre indigènes et immigrants. La racialisation des théories évolutionnistes, les excès de quelques démographes et la pêche aux voix pour accéder dans les Parlements, tous amplifiés par les médias, ont contribué à associer immigration et danger. Une situation de crise à laquelle les gouvernements ne peuvent faire face. Le vocabulaire est volontiers martial pour signifier la subversion d'un ennemi retors près à nous envahir.

La Grande Dépression qui survient à partir des années 1870 exacerbe l'hostilité vis-à-vis des étrangers, accusés de concurrencer les ouvriers français et de favoriser le chômage des nationaux. Outre ce contexte de crise économique, l'essor de la statistique, du parlementarisme et de la presse s'avère déterminant. Le fantasme de l'invasion migratoire fait ainsi son apparition dans les discours savants, politiques et médiatiques à partir des années 1880.

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Le monologue de Delphine Horvilleur converge sur ce point en relevant que par son renoncement à une démarche identitaire, le juif – particulièrement celui en fuite après la recomposition politique qui a suivi la Grande guerre – attire la haine par «tout obsédé de l'identité».
Sans nier les difficultés de l'accueil de migrants, l'auteur souligne la difficulté à montrer l'apport positif de la migration dans la dynamique sociale. Les revendications sociales des communautés italiennes du début du XXe s. en Suisse, en lien avec la politique transalpine, ont ainsi profité aux ouvriers helvétiques comme le rappelait une récente exposition au Musée historique de Lausanne.
En faisant de l'étranger un bouc émissaire, on oublie ses propres responsabilités. En fustigeant l'action de Frontex, Imbert rappelle que les dirigeants de l'Espace Schengen n'ont pas su anticiper les conséquences du désastre syrien, prévisible dès 2012-2013, et prévenir le déferlement impressionnant de 2015. À la décharge des gouvernements, cette incapacité est corrélée au vocabulaire agressif des populistes qui instillent la méfiance et s'opposent à toute politique proactive. L'exemple de la présidentielle française de 2022 est significative : dès les intentions d'Éric Zemmour de se présenter, la surenchère anti-immigré·es s'est enclenchée.

Le Figaro gonfle lui aussi de ses feuilles les discours radicaux. Le 23 août 1927, le richissime industriel François Coty y évoque une « invasion dont [les maîtres occultes] avaient arrêté le plan ». Il dénonce une loi adoptée deux semaines plus tôt, qui assouplit les conditions d'acquisition de la nationalité française. Selon lui, « la nation française [se trouve] en péril de mort » : « Trois millions de Français, vigoureux, sains, vaillants, honnêtes, ont été poussés à l'abattoir pour qu'on pût leur substituer la vermine du monde. La vermine du monde "adore la France", comme le boa constrictor aime le lapin. »

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L'analyse des statistiques de la migration est irrationnelle comme pour tout domaine trop émotionnel. Yascha Mounk élabore quelques pistes pour dépasser l'opposition entre allochtones et autochtones.

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