Amérique notre histoire

Russell Banks, Amérique notre histoire, Entretien avec Jean-Michel Meurice, Actes Sud Arte 2006, Traduit de l'américain par Pierre Furlan
On présente parfois Russell Banks comme le meilleur portraitiste des marginaux américains. La société qu'il décrit n’est pas celle des élites (
> Lointain souvenir de la peau) et son point de vue sur la situation politique aux États-Unis est souvent sollicité par les médias français; son avis sur l’Histoire américaine est engagé.
A la recherche d’une introduction francophone à l’Histoire de l'Amérique, Google indique le nom de Russell Banks. L’auteur américain a participé avec Jim Harrison au décryptage des mythes fondateur des États-Unis dans un film de Jean-Michel Meurice
Actes Sud a publié simultanément les entretiens entre le réalisateur et Russell Banks. 10 séquences/chapitres permettent de donner des repères historiques qui aident à comprendre la singularité des Etats-Unis dans le monde occidental.
Jean-Michel Meurice dans son introduction rappelle que les liens avec l’Europe sont réciproques : fondamentalement, les racines de la population dominante des Etats-Unis sont européennes. “Les Américains sont tout simplement des Européens qui ont fui et rejeté l'Europe, la misère, l'intolérance religieuse, les pogroms, les guerres, pour un.continent vaste, ouvert à toutes les entreprises et qu'ils ont voulu résolument différent.” (p. 9) De fait, les bases de la société américaine n’ont rien de commun avec celles de l’Europe. La lutte pour l’indépendance, la conquête de l’Ouest, le développement économique et industriel ont forgé une société qui est devenue puissance mondiale. Les valeurs sont ancrées dans le christianisme et plus particulièrement dans le protestantisme établi en Nouvelle-Angleterre. L’indépendance est la résultante de considérations économiques prépondérantes dans les États du Sud et d’une idéologie développée dans les États du Nord fondée sur la recherche d’une liberté religieuse.

S'il s'était seulement agi du droit de lever leurs propres impôts, de créer des milices ou de protéger des terres publiques, personne ne serait parti en guerre. Mais il s'agissait du droit de posséder des esclaves. Donc, en son essence, la guerre de Sécession était un problème de race, et le conflit racial est au cœur de l’histoire des Etats-Unis.
La race, c'est notre grand récit. Notre récit originaire. Tout s'y rapporte.

p. 38

La politique américaine est en tension entre une volonté hégémonique, notamment économique, et un repli identitaire de tendance nationaliste. La fin de la guerre froide a fait, pour un temps, des États-Unis l’unique grande puissance. Cette domination correspond paradoxalement à un regain de nationalisme que Banks ne juge pas inhérent à son pays. “La montée du nationalisme, bien évidemment, est suivie par toutes les autres formes d'imbécillité qui renforcent l'identification à l'Etat et contribuent à sa vénération. Ce danger-là est au coeur de tout nationalisme. La pureté raciale, la notion de pureté religieuse, la volonté d'hégémonie culturelle sont des besoins sociaux pathologiques qu'engendre partout, et presque fatalement, le nationalisme.” (p. 36).
L’ouverture à l’immigration, si possible choisie, est l’autre pôle de la politique américaine. Le rapide développement démographique lié à l’arrivée de vagues de migrants européen a donné aux Etats-Unis un fort potentiel économique dès 1870 et jusque dans les années 1930. Les nouveaux arrivants devaient cependant faire leur place dans la société. Russell Banks se souvient que dans sa jeunesse, son père et “les Anglo-Américains de sa génération utilisaient pour parler des Italiens. Ils les appelaient des «Guinées», et je n'ai jamais su ce que signifiait ce terme jusqu'à ce que je sois adulte et que je comprenne que c'était un mot désignant l'Afrique ou les Africains. Ce qui signifie que jusque dans les années 1950, ce qui n'est pas si vieux, les Italiens et tes autres Méditerranéens étaient considérés comme d'une autre race que la nôtre, la blanche.” (p. 45)
Pour Banks, aussi difficile soit le lien entre la migration et la question raciale, les États-Unis restent un pays où l’on recommence sa vie. Il analyse les migrations européennes de manière différente : l’Europe est une destination de migration économique. Les arrivants y garderaient des liens plus forts avec leur pays d’origine. Les premiers colons abordaient le Nord-Est des Etats-Unis avec la conviction d’y fonder une Nouvelle Jérusalem, d’y vivre un nouveau départ. L’Europe représente un continent établi sur ses valeurs et des cultures nationales; et les arrivants n’ont d’autre alternative que d’y diluer leur identité. Pour l’auteur ll’Amérique est le résultat d’une fusion des cultures. A l’appui de sa thèse, il mentionne la devise figurant sur les pièces de monnaie
E pluribus unum, une unité à partir d’une multiplicité.Harlem 138th St

Harlem W 138th St


Russell Banks est sollicité pour commenter la vie politique et particulièrement l’action de la présidence. De cette autorité il dit “c'est vraiment une singularité, sur notre planète. Nul autre président, nul Premier ministre, ni monarque n'a tout à fait le même rôle que le président américain. C’est un mélange de pape, de directeur général et de roi – sans être aucun de ces trois personnages seulement. Sur le président se projettent des croyances religieuses et spirituelles, une foi dans des pouvoirs d'origine divine dont il aurait hérité et qui seraient semblables à ceux d'un monarque. Mais on croit aussi au président en tant que directeur général qui fait avancer les choses. Toutes ces exigences se rassemblent en notre seul et unique président. Les autres pays les répartissent : ils ont un roi et des Premiers ministres. Ou bien un président et un Premier ministre.” (p.83)
Ses positions ont été critiques vis-à-vis de Barack Obama, "[qui a été élu] parce qu'il avait promis de nous apporter le changement sans nous obliger à changer quoi que ce soit - de faire une distinction sans faire de différence - en offrant une image de compétence face à l’incompétence (
BiblioObs 5 janvier 2012). Dans le contexte politique américain, les personnages de ses romans sont cependant les électeurs-types de Trump (Le Temps 3 juin 2017).
Peut-être parce qu'ils ont été nourri au biberon de l'abrutissement médiatique. Dans le dernier tableau de cette histoire américaine, il évoque la mondialisation et à l’omnipotence des médias. La situation a peu évolué ces vingt dernières années : “pour l'instant, on ne peut donc guère attendre d'une politique américaine marquée par le populisme et la démagogie qu'elle nous ouvre une voie permettant de sortir du piège de la mondialisation”. (
Hans-Peter Martin et Harald Schumann, Le Piège de la mondialisation, Solin – Actes Sud, 1997 p. 280). Banks, comme les journalistes allemands Schumacher et Martin, relève le pouvoir toxique de médias au service de l'économie.

C'est au cours des années 1950 que la télévision est entrée dans la vie quotidienne des Américains. Et ce qui s'est alors produit, c'est que nous avons permis au représentant de commerce de pénétrer dans l'enceinte sacrée de nos foyers. Comme la programmation de la télévision n'existe que pour vendre des produits, la télévision n'est rien d'autre qu'un représentant de commerce. La publicité n'est pas là pour permettre à des émissions d'exister ; c'est exactement l'inverse. Les émissions existent pour qu'on puisse faire passer des publicités. Dans les années 1950, nous avons donc laissé le représentant de commerce entrer dans nos maisons. Au début, nous l'avons eu dans le séjour. Puis ce représentant est devenu le baby-sitter de nos enfants. A présent, il est dans la chambre trois heures par jour avec ces mêmes enfants. Au fond, nous avons donc abandonné nos enfants aux pourvoyeurs d'objets de consommation- baskets, vêtements, jouets, jeux vidéo et dans la foulée, bière, alcool et voitures.

p. 126

La recomposition des équilibres économiques et politiques, le repositionnement de la Chine et de la Russie (pas toujours pour le meilleur), le regard critique sur les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), les fake news et l'imprévisibilité feinte de Trump sont autant de raisons de douter d'un avenir radieux et de se réjouir de voir émerger des mouvements citoyens créatifs.