Science

Saint-Martin Arnaud, Science. Anamosa, Le mot est faible, 2020.

La collection Le mot est faible veut “chaque fois, […] s'emparer d'un mot dévoyé par la langue au pouvoir, […] l'arracher à l'idéologie qu'il sert et à la soumission qu'il commande pour le rendre à ce qu'il veut dire.”
Dans un contexte de pandémie, lorsque l'on aimerait être rassuré par des certitudes, il est important de différencier science et intuition.

[…] le bon fonctionnement d'une innovation biomédicale, en particulier quand elle est complexe à manier […] dépend d'un tissu d'institutions et de personnels de santé. La croyance que des solutions techniques simples et miraculeuses peuvent résoudre les problèmes, là même où les systèmes de santé sont défaillants, est un leurre. C'est aussi une leçon pour la crise que nous traversons – dont on ferait bien de se souvenir en attendant le vaccin qui viendra nous sauver du coronavirus.

Guillaume Lachenal
XXI – n° 52, Autopsie d'un vaccin, p.25



MEF SCIENCE
Arnaud Saint-Martin est “sociologue, spécialisé dans l'étude des sciences et techniques. [Son] point de vue est donc situé” (p. 34). Cette posture lui permet de rappeler les fondamentaux et la nécessaire indépendance de la recherche scientifique. Elle l'oblige à constater les dérives d'un système qui capitalise sur les chercheurs et le potentiel profit à faire de leurs découvertes. En ce sens, ce bref ouvrage trouve sa place dans cette collection.
La maquette très conceptuelle de l'essai, recouvre un texte dont le jargon sociologique répond à celui du directeur de collection. Cette forme donne l'impression que l'urgence de rendre à la science sa palce dans le débat n'est pas prise en compte.
Saint-Martin avait achevé la version préliminaire de son écrit fin 2019. La survenue d'un coronavirus agressif dans les premiers mois de 2020 l'a incité à reprendre son texte. Cette révision est bienvenue : elle lui permet de rappeler la temporalité de la science qui produit un savoir en devenir, validé par des protocoles stricts. Parmi les nombreux experts sollicités par les gouvernants dans cette période de crise, certrains n'ont pas pu résister à faire passer leur ego avant l'intérêt public en assénant leurs vérités.

En temps normal, [le] travail d'expertise s'accomplit selon une temporalité qui est celle [des] organisations publiques. Des recherches sont menées, qui serviront à des rapports publiés en série. Or, dans l'accélération d'un management de crise d'un gouvernement enjoint à l'efficacité ici et maintenant – et à rendre des comptes demain –, ce modèle est brusqué. Plus le temps de tergiverser dans le confinement des séminaires et des congrès, l'incertitude n'est tolérable qu'à la marge, dès lors qu'elle est impliquée « en première ligne », car il y a la mort de femmes et d'hommes.

p. 9

L'auteur pointe les dégâts portés à l'humanité par quelques dirigeants qui dénigrent la science, "bien décidés à ne rien faire parce qu'ils font confiance à leur instinct et préfèrent sauver une croissance économique par ailleurs insoutenable, plutôt que des vies…” (p. 75) Il vise en première ligne les climatosceptiques (> Le coup d'état climatique) mais il n'épargne pas les politiques de management public-privé qui limitent l'indépendance de la science et qui restreignent les recherches aux domaines qui promettent des profits.
Dans son propre champ d'études, Saint-Martin relève la difficulté de la science à communiquer ses découvertes. Pour le commun des mortels, la physique newtonienne est suffisamment précise pour expliquer notre Univers. Comment, dès lors, rendre concrètes les ouvertures offertes par la Théorie einsteinienne de la relativité ? Comment donner sens à des recherches dont même les spécialistes peinent à appréhender la portée ?

[Les pratiques du savoir ont] pu progresser dans l'établissement de vérités, qui est le moteur même de la science, à l'inverse des religions qui postulent au contraire le caractère indiscutable des vérités sacrées qu'elles éternisent.

p. 42

L'essayiste, en défendant, une science éthique au service de l'homme, redonne de la valeur à une discipline qui ne se veut pas omnisciente, même si on lui attribue une certaine omnipotence. La formulation parfois alambiquée de ses thèses jette toutefois un doute sur ses intentions.

Interview de l'auteur dans Tribu RTS