Le verdict “peine de réclusion à perpétuité aggravée” enclenche une marche vers les ténèbres. Même attendue, cette sentence anéantit l'espoir. Elle appelle cependant une réaction. Altan convoque toutes ses ressources pour se distancier. La dérision mais surtout les forces puisées dans ses références littéraires lui permettent de prendre du recul. L'écrivain n'en reste pas moins lucide : chacun est détenteur de ses propres ressources. Il relève l'ironie de points de repère contradictoires pour maintenir le cap.

C'était très déconcertant pour nous trois de nous retrouver dans la même cellule.
De mon côté, je n'avais encore jamais vécu parmi des hommes qui priaient avec autant d'intensité et de dévotion, et quant à eux, passer tout leur temps avec un incroyant était une expérience inédite.
Dans ce "prisme" quotidien de la religion, à travers lequel mes camarades de cellule envisageaient l'au-delà, je ne voyais, moi, que la mort.
[…]
Tels trois cactus roulés dans une boule métallique, nous nous enfoncions mutuellement nos épines dans la chair à chaque mouvement.
Chacun de nous pourtant essayait de vivre pour soi sans blesser les deux autres.

p. 139-140

La vie dans les prisons turques vue par un détenu suite aux arrestations massives après le 15 juillet 2016.
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Suite à deux jugements reposant sur des accusations antithétiques, Ahmet Altan ne peut que douter du bien-fondé de la peine. Cet arbitraire atteste de la nature autocratique du régime, mais provoque un fort sentiment d'instabilité. L'auteur ne peut que s'interroger sur la notion du bien et du mal, notamment tel qu'il est vécu par les personnes convaincues de leur foi musulmane. Alors que le Coran plonge l'un de ses codétenus dans un dilemme moral, il ancre des femmes et des hommes dans la conviction de leur légitimité. Plus que la rudesse de la vie en prison c'est le doute qu'il instille que le journaliste semble avoir le plus de difficultés à gérer.
Sa capacité de décentration acquise par l'écriture lui permet de ne pas sombrer. Ces textes sont un témoignage de la puissance de l'humain à résister, à la force de l'esprit qui permet de dépasser les contingences de l'existence. Cette résilience est aussi fruit de la maturité : savoir que son propre père a subi les mêmes avanies renforce la défense d'Ahmet Altan.

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Sylvie Arsever pour Le Temps
Jürg Müller-Muralt pour Bon pour la tête

Tags Livre, Politique, Société, Moyen-Orient