Margaret Mitchell

Edwards Anne, Margaret Mitchell : biographie, Belfond, 1991 (1983)

Parue il y a trente ans en français, la biographie de l'auteur d'Autant en emporte le vent donne une idée de l'évolution des mentalités... et des pesanteurs de la société. Alors que le roman parait dans une nouvelle traduction française, le film est retiré du catalogue de le plateforme de streaming HBO Max pour ne pas exacerber les violences raciales.

Peggy s'était attachée à restituer la richesse du dialecte des Noirs, sans pousser le mimétisme jusqu'à présenter au lecteur un jargon incompréhensible. Le langage adopté se voulait donc un compromis délicat entre l'« authentique petit nègre » et quelque chose qui d'un point de vue pratique ne serait pas trop indigeste pour les presses à imprimer.

p. 183


La biographie, parue en 1983, relève les paradoxes de Margaret Mitchell (1900–1949). Femme du Sud, elle se souvient des récits de ses grands-mères racontant l'incendie d'Atlanta par l'armée Yankee et la Reconstruction qui l'a suivi. Cet ancrage dans l'histoire parait avoir été déterminant pour Mitchell. Si la résilience de Scarlett confère à l'héroïne une posture féministe, l'auteur qui se faisait appeler Mrs John Marsh, bien qu'élevée par une femme engagée, a une vie bourgeoise convenue. La biographe souligne cette soumission à l'ordre établi.
Alors que la trame narrative du roman est son œuvre, son achèvement semble dû surtout à la persévérance du mari qui en exigeait l'aboutissement. Sans l'investissement de ce dernier pour améliorer la syntaxe, l'œuvre n'aurait probablement pas trouvé d'éditeur.
Un autre élément est essentiel au succès éditorial et cinématographique : l'environnement économique. La crise de 1929 s'est accompagnée d'un essor de l'activité littéraire et a dopé le marché du livre. Les éditeurs recherchaient activement des auteurs et le passé sudiste suscitait un intérêt dans un pays éprouvé. Le récit de la Reconstruction baigné d'une nostalgie identitaire répondait à cette attente.

Plus elle s'absorbait dans son travail, plus Peggy se sentait gagnée par le doute. Ce n'était pas le moindre paradoxe de l'aventure. Elle n'était donc qu'une femme d'intérieur qui se distrayait à faire de la littérature, et ce passe-temps l'accaparait aux dépens des tâches domestiques. Sans l'influence déterminante de John qui entrait dans une colère noire chaque fois qu'elle envisageait de tout laisser tomber, la conviction se serait peu à peu imposée à l'esprit de Peggy qu'il était de son devoir de renoncer au roman, comme on trouve la force de rompre avec une mauvaise habitude. Or ce livre était devenu le fruit de leurs efforts conjugués; son achèvement importait presque autant à l'un qu'à l'autre.

p. 141

Les positions politiques de l'auteur étaient très conservatrices; elle considérait le New Deal comme contraire aux valeurs américaines. Son texte affiche sa condescendance envers les Noirs. Sa famille employait une domesticité de couleur qu'elle traitait correctement, cependant Mrs John Marsh n'a eu de cesse d'exiger pour l'adaptation cinématographique que le langage des Noirs soit altéré pour correspondre aux variations observées dans la domesticité ou les plantations. Margaret Mitchell cautionnait les inégalités dont elle était consciente puisque elle soutenait sa cuisinière Bessie qui ne pouvait accéder aux soins que ses économies lui auraient pourtant permis.
Le succès de son roman et l'accès à la richesse qui en découla contribuèrent au repli sur soi du couple et à leur défense acharnée des divers droits afférents.
Ultime ironie, l'accident qui coûta la vie à Peggy peut être attribué à l'insuffisance des règles de circulation : une carence de l'État qu'elle abhorrait pour protéger la population !

Grand format de Geneviève Bridel pour la RTS
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