Bruno Manser

Bruno Manser – La Voix de la forêt tropicale, biopic de Niklaus Hilber (Suisse, 2019), avec Sven Schelker, Nick Kelesau, Elizabeth Ballang, Matthew Crowley, David Ka Shing Tse, 2h21

Bruno Manser Fonds

Bruno Manser dessine et écrit dans son journal en automne 1989. Au premier plan, le gibon Uut. Photo: James Barclay – BMF



Le Gouvernement du Sarawak, état malais, considérait Bruno Manser comme naïf et insensé. Son action était sous-tendue par un certain romantisme, mais pourtant toujours cohérente et réfléchie.
Le succès du biopic Bruno Manser – voix de la forêt tropicale atteste de sa notoriété, vingt ans après sa mystérieuse disparition.

Il faut des personnes qui sont un peu monomanes, qui incarnent une idée et font tout pour transmettre entièrement cette idée à d'autres personnes. Il nous faut de tels visionnaires, il nous faut ces personnes qui non seulement ressentent soudainement une situation comme intolérable, mais qui expliquent et le montrent jusqu'à ce d'autres personnes ressentent aussi ce caractère intolérable.

Ruth Dreifuss
«Bruno Manser: Fasten für den Regenwald»

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Hilber ouvre le film avec la découverte de la jungle de Bornéo par Manser, en 1984. Cette intrusion dans le monde primaire de nos ancêtres chasseurs cueilleurs a été longuement réfléchie. Il a déjà 30 ans. Cette quête d'authenticité a été préparée et n'a rien d'un voyage initiatique.
Vivant dans la forêt tropicale, le Bâlois a approché puis observé les Penan avant d'être élevé par eux dans la connaissance de la vie nomade. C'est au cours de cette immersion de six ans qu'il vit de l'intérieur les conséquences de l'exploitation forestière.
À la faveur, si l'on peut dire, d'un nouveau gouvernement, des licences d'exploitation de la forêt tropicales sont accordées. Elles doivent permettre à la Malaisie d'accéder au rang de nation développée. Les tribus qui vivent dans la jungle, difficilement considérées comme humaines, n'ont aucun poids face à ces intérêts économiques. La destruction du milieu naturel, outre son impact écologique, signifie la disparition du mode de vie de ces peuples.


Par son intérêt, Manser rend conscients les Penan de leur humanité et de leur valeur. Il guide leur lutte, notamment en utilisant des moyens non-violents. Cette stratégie a permis d'éviter le pire en donnant une voix aux Penan. Elle a aussi réorienté la politique malaise vers la diplomatie.
Sa tête mise à prix, l'action de Manser à Bornéo est susceptible de nuire à ceux qu'il désire défendre. Il choisit alors un autre terrain pour continuer sa mission. Difficile d'imaginer ce que quitter la jungle pour devenir activiste en Suisse a dû lui coûter. Cependant, par le biais du Bruno Manser Fonds, un public prend conscience des enjeux du commerce du bois tropical. La nécessité de préserver la diversité écologique est établie par l'agence onusienne ITTO, organisation internationale des bois tropicaux (Accord de 2006).
Toutefois le refus de reconnaître pleinement les droits des habitants de la forêt à la sauvegarde de leurs conditions de vie est une amère défaite pour Bruno Mauser et les collaborateurs du Fonds. Les pays concernés ont habilement argumenté que la sédentarisation offrait un meilleur avenir à ces populations. Même si le nomadisme implique une relation particulière aux "biens" de consommation, il est peu vraisemblable que Manser ait découvert, en 1984, des Penan dépourvus de tout objet industriel et ignorant tout de leurs contemporains. Comme Hilber le fait dire à Ubung, qui a choisi d'abandonner la vie nomade, les nouvelles conditions d'existence ont des avantages et des inconvénients.

Besitz hat in der Penankultur keine Bedeutung. Beinahe alles, was er zum Leben braucht, findet er in seiner nächsten Umwelt, lernt er, sich zu beschaffen und herzustellen und teilt er mit der Gemeinschaft. Und die Vergänglichkeit lässt nichts halten: «Wie gewonnen, so zerronnen.»

Bruno Manser
Tagebücher aus dem Regenwald, S. 172

L'immersion de Bruno Manser dans le mode de vie des Penan lui donnait une grande légitimité pour défendre leur condition de chasseurs-cueilleurs. Mais comment, in fine, permettre à chacun d'opter pour la vie qui lui paraisse la plus juste et lui permette d'accéder au bonheur sans restreindre les droits d'autrui.
Par son engagement personnel hors du commun, Manser a réussi à faire bouger les lignes d'un iota. Quelle énergie sera-t-elle nécessaire pour que l'impact de notre mode de vie sur notre environnement soit entendu et que des actions appropriées soient envisagées ?

Fonds Bruno Manser
Site du film
Bruno Manser – Fasten für den Regenwald (sous-titre français)
Critique de Nadine Haltiner pour la RTS
Critique de Stéphane Gobbo pour Le Temps
Le contexte du film par Stéphane Gobbo pour Le Temps
Le parcours de Manser vu par sa soeur par Céline Zünd
Internet Movie Database