Nora Webster

Colm Tóibín, Nora Webster, Trad de l’anglais par Anna Gibson, 10/18, 427 p.

En décrivant la conquête, pas-à-pas, de l’indépendance de Nora Webster, Tóibín rappelle que l’expression d'une personnalité n’est jamais aisée.
Étrange d’entrer dans ce roman de Tóibín : j’y retrouve les lieux et le décor de précédents ouvrages mais une atmosphère bien plus pesante encore. C’est que Nora, à la fin des années 60, vient de perdre son mari. Ses enfants restent encore à sa charge. Conor et Donal sont toujours élèves du collège où Maurice travaillait. Les regards de tous convergent sur elle. La pression sociale exige qu’elle se comporte en veuve digne, s’effaçant de la société. Elle s’octroie quelques libertés en se rendant à Dublin ou à Wexford.
Contrainte d’accepter l’emploi qu’on lui offre comme une aumône, elle n’est pas prête de courber l’échine devant ceux qui cherchent à profiter de son infortune.
En décrivant la conquête pas-à-pas de l’indépendance de Nora Webster, Tóibín rappelle de profondes inégalités sociales dans la société irlandaise. Selon son genre, sa situation sociale ou ses convictions, ce n’est qu’en luttant sans répit que l’on acquiert des fragments d’indépendance, là-bas et ici.

Nora se demanda soudain s'il existait un endroit, une autre petite ville, ou un quartier de Dublin, où elle pourrait s'installer dans une maison semblable à celle-ci, une modeste maison mitoyenne dans une rue bordée d'arbres, où personne ne leur rendrait visite et où ils pourraient vivre tranquilles tous les trois. Puis elle se surprit à pousser sa pensée plus loin – une telle possibilité, un tel endroit, une telle maison signifierait aussi que ce qui avait eu lieu puisse s'effacer, que son fardeau lui soit ôté, que le passé soit restauré et se prolonge sans effort dans un présent dénué de souffrance.

p. 49


Critique d'André Clavel pour le Temps