Le cœur découvert

Tremblay Michel. Le coeur découvert, Roman d'amours. Actes Sud, Babel, 1995.

Le roman de Tremblay, écrit en 1986, alors que la pandémie de SIDA fait des ravages dans les communautés homosexuelles, raconte l’histoire d’amour entre Jean-Marc et Mathieu. Le premier, quarante ans, vit son orientation sexuelle de manière assumée. Mathieu, vingt ans, est marié et père d’un garçon. En découvrant son homosexualité, il en a testé les limites et, bien que sûr de ses préférences, reste ambivalent sur son rôle parental.

C'est drôle comme il nous arrive de maquiller nos vrais sentiments quand la peur entre en ligne de compte. Parce que j'avais peur malgré ma confiance en Mathieu. Peur […] de l'éloignement sitôt après la découverte, de l'objectivité que procure l'éloignement, cet espèce de retour sur soi-même que comprend toujours un voyage solitaire : Mathieu allait-il, si loin de moi, de Montréal, dépister dans nos relations si fragiles parce que si nouvelles une anomalie, un vice caché qui lui donnerait une raison de me laisser tomber, de me signifier mon congé […]

p. 146

Beaucoup de second degré dans ce livre. L’auteur renverse la condescendance des Français pour les Québécois, l’aversion des hétéros pour les gays et lesbiennes… Il ironise aussi sur les appartenances aux différents quartiers de Montréal. Cette écriture me semble accentuer les stéréotypes de genre, de classe,… et trop rattacher le livre à l’époque de sa parution. Pourtant, l’éditeur Leméac l’a publié à nouveau en 2016, peut-être parce qu’une série télévisée en a été tirée en 2013.
Quelques pages plus intemporelles ont retenu mon attention. Les premières sur la question de la parentalité dans les couples recomposés, notamment le rôle respectif des pères et des beaux-pères puisque ces derniers sont davantage confrontés aux problèmes éducatifs au quotidien.

– Oui ! Si tu savais à quel point je travaille, actuellement, pour me bâtir un semblant d’éducation ! Sais-tu ce que c'est que de rattraper dix ans de niaisage ? Chus sorti de l'école pour me marier, Jean-Marc, j’savais à peine lire, pis pas écrire pantoute ! J’le sais que c’est de ma faute autant que de votre faute à vous autres, mais vous avez même pas pris la peine de nous pousser dans le cul pour nous intéresser à quoi que ce soit ! Prends-le pas personnel ; t’es peut-être un professeur exemplaire, mais j’veux pas le savoir... T'es coupable collectivement si tu l'es pas individuellement ! Si mes professeurs avaient pris la peine de me dire qu’y existait une culture, quequ’part, j'aurais peut-être eu le goût de la connaître ! On n’était pas curieux, pis on n’avait pas le sens de l‘émerveillement parce qu'on avait une gang de flancs comme professeurs qui aimaient mieux discuter qu'enseigner pis qui voulaient absolument se faire accepter de nous autres plutôt que de nous transmettre quoi que ce soit! J'ai passé dix ans de ma vie dans un bunker sans fenêtres, Jean-Marc, comment voulais-tu que j'aie le sens de l'émerveillement ? »

p. 188

Jean-Marc enseigne et Mathieu a eu un rapport difficile avec l’école. Il n’a pas su saisir sa chance et être en phase avec le monde scolaire à l’adolescence. Dans un mouvement de révolte, il reproche à son amant les lacunes d’un système qui laisse peu de chances à ceux qui ne sont pas en phase avec son rythme. Ce réquisitoire renforce la largeur de vue de Louise, l’épouse de Matthieu, qui a accepté de reconnaître l’homosexualité de son mari et de plaider sa cause auprès des membres les plus homophobes de sa famille. Son ouverture, à contre-courant, permet à Matthieu d'intégrer sa fonction paternelle.

Le site de l'éditeur