Anatomie d'une décision

Szücs Anna, L'anatomie d'une décision. Encre fraîche, 2020.

Les premiers traits d'Anna Szücs dépeignent la routine à Zalaegerszeg, ville de province hongroise. La juxtaposition des mots donne une coloration naïve à ce décor. Les échos qui proviennent de Budapest en cet automne 1956 vont en s'amplifiant. La quiétude devient rapidement tension.Kossuth Lajos utca

Rue Kossuth Lajos, Budapest 1956


Cette incertitude frappe particulièrement la famille de Imre et Irma Spiegel et leur fils Andris; ils ravivent le passé. À la libération, ils ont évacué leur mode de vie d'avant-guerre, tout à l'espoir que le nouveau système politique permettrait de gommer leur identité juive. Imre s'accommode de cette situation : il ménage un supérieur incompétent mais encarté et intègre les directives du plan dans la gestion des Magasins du Peuple.

Kálmán Fleischmann était ainsi une figure indéniablement communiste. Sa corpulence, ses mains calleuses, son visage osseux aux joues creusées, en un mot tout son être diffusait la fierté honnête et solennelle du brave travailleur. Il s'était entraîné à adopter une expression grave et réfléchie qui lui permettait de camoufler efficacement son manque de savoir-faire. Il se contentait de répéter les objectifs généraux et de prétendre être au courant de tout.

p. 11

L'enjeu des remous politiques parait insignifiant, opposant une ligne socialiste à la voie communiste. Derrière ces questions terminologiques, qui impliquent néanmoins le destin personnel des réprouvés, incarcérés pour des motifs politiques, se cache une problématique nationale. S'affranchir de l'étau soviétique, ravive la flamme nationaliste. La famille d'Andris reste indifférente à la dénomination du régime, la vague protestataire la désécurise pourtant, lui rappelant la montée de l'antisémitisme et ses conséquences tragiques.
Cette vague-ci libère les animosités que l'on avait crues éradiquées par le régime. Les Spiegel sont déterminés à ne pas répéter l'erreur commise avant-guerre : le renoncement à l'émigration par excès de confiance.
La fausse naïveté du décor s'estompe vite devant les vives émotions provoquées par cet emballement de violence. L'autrice montre comment les pages sombres d'un passé que l'on croit oublié altèrent la capacité de raisonner sereinement.

il voyait ses convictions, si soigneusement rebâties après la guerre, se démanteler les unes après les autres: l'assurance de vivre en sécurité, d'être traité impartialement et d'avoir une place dans la société. C'était à ces certitudes qu'il s'était cramponné pour maîtriser ses angoisses, pour retrouver goût à l'existence et pour transmettre de l'optimisme à son fils.

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En revenant sur ce passé, désigné successivement par la Contre-révolution, la Révolution ou les événements de 56, dans le cadre d'un travail de maturité, Anna Szücs a posé les bases de ce premier roman. En élaborant un texte à partir de ce terreau familial, elle établit un lien fort avec son identité hongroise, son pays de naissance. Par le partage de cette expérience personnelle, elle donne sens au travail de mémoire. Elle invite aussi le lecteur à ne jamais sous-estimer la charge affective de toute décision importante qu'il prend.

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