Le goût du vrai

Klein Etienne, Le goût du vrai. Gallimard, Tracts, 2020.

L'air du temps, en accusant la science de n'être qu'un récit parmi d'autres, l'invite à davantage de modestie. On la prie de bien vouloir gentiment «rentrer dans le rang» en acceptant de se mettre sous la coupe de l'opinion.

p. 38

Achevé en juin 2020, le texte d'Etienne Klein a une saveur particulière. La planète a retenu son souffle le temps de la sidération et du confinement, dû à une première vague de Covid-19. Cette période inattendue a donné libre cours à nos irrationalités, une forme d'exutoire à notre incapacité de maîtriser l'épidémie. En exhibant les contradictions de notre société, cette crise montre les vulnérabilités de notre civilisation hautement technologique.

Physicien et philosophe des sciences, l'auteur relève que “le désir de véracité enclenche au sein de la société un processus critique généralisé, lequel fait douter que puissent exister, sinon des vérités accessibles, du moins des contre-vérités démontrées.”
Les vérités scientifiques sont donc contestées, d'autant plus vivement qu'au prétexte que la science a été moteur de progrès, elle devrait être dans la capacité intrinsèque de donner la réponse instantanée aux obstacles que nous affrontons. Cette frustration est certainement d'autant plus grande que la technologie nous habitue à l'immédiateté. Dès lors nous préférons nous fier à notre instinct ou à toute assertion simpliste que nous croyons de bon sens.

[…] à rebours de nos déclarations ferventes, nous nous montrons plus enclins à déclarer vraies les idées que nous aimons qu'à aimer les idées vraies, surtout si celles-ci nous déplaisent. À ces purges amères, nous préférons substituer des idées plus douces, moins dures à avaler, qui font office de couettes mentales.

p.22

Etienne Klein met également en avant une leçon importante de la crise sanitaire en cours : l'action politique et la recherche scientifique sont asynchrones. Ainsi les gouvernements doivent assumer une responsabilité de protection des populations dans l'urgence alors que les scientifiques ne peuvent que les conseiller sur la base d'une expérience et d'une connaissance en construction. Aussi insatisfaisante que puisse être cette temporalité différente, ce n'est que par le strict respect des rôles dévolus à chacun que nous évoluerons dans un environnement sécure. Lorsque le scientifique dicte les choix d'une autorité ou qu'un dirigeant décide, sur la seule base de ses émotions, des mesures thérapeutiques le public ne peut qu'être angoissé.
Ces constats amènent l'auteur à contextualiser le processus scientifiques et à réaffirmer que le choix de nommer “Théorie de la relativité” l'apport d'Einstein est malheureux : il n'y a pas de «relativité» en physique. La démarche scientifique, en particulier pour les sciences dites dures, permet d'invalider, plus ou moins rapidement, les fausses assertions. Dans le domaine de la physique, en particulier, les avancées conjointes de la théorie et de l'observation donnent un crédit certain aux vérités.
En médecine, la pluralité de paramètres individuels implique l'utilisation de statistiques pour orienter la prise en charge thérapeutique et les mesures de prévention. La survenue de complications n'est dans ce cas jamais à exclure.

Comment refonder, dans un tel contexte, les conditions d'une meilleure diffusion des idées de la science ? L'affaire est rendue délicate par le fait que circulent dans les mêmes canaux de communication des éléments appartenant à des registres très différents: connaissances, croyances, informations, opinions, commentaires, fake news… Immanquablement, leurs statuts respectifs se contaminent: comment distinguer une connaissance de la croyance d'une communauté particulière? Une information, d'une fake news ? Dans les esprits se crée une confusion d'autant plus grande que le statut actuel des sciences est devenu ambivalent.

p. 32

Le texte d'Etienne Klein montre son penchant pour l'argumentation et pour la prise en compte de la complexité. Cet attrait est peut-être antinomique de Tracts, collection dans lequel paraît son essai. Son texte en a cependant la concision. L'exigence de cohérence qu'il postule concerne avant tout le domaine des sciences physiques. Si on observe une telle remise en questions des faits dans ce champ de recherche, que dire des sciences humaines dans lesquelles les biais sont plus nombreux ? Comment contenir l'atomisation des sociétés lorsque le consensus est déjà si difficiles sur des faits établis ? Comment, sans accord sur une évidence de son urgence, mobiliser citoyennes et citoyens pour mettre fin à la dégradation de notre planète ? En nous invitant à admettre la réalité des faits, l'auteur ne nous demande pas d'abandonner tout sens critique, mais nous pousse à nous engager dans le projet d'un avenir commun.

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Etienne Klein
Tribu-RTS : Vérité scientifique vs opinion
Entretien de Célia Héron avec l'auteur pour Le Temps