Arabe en France

Bouvet de la Maisonneuve Fatma. Une Arabe en France, Une vie au-delà des préjugés. Odile Jacob, 2017.

Fatma Bouvet de la Maisonneuve se qualifie de bavarde. Son écrit, proche de l'oral, s'en ressent et atténue la portée de son propos. Psychiatre, arrivée en France pour sa spécialisation en addictologie, cette Tunisienne découvre une société plus complexe qu'escompté. Mariée à un Français, elle fait part de ses observations pour essayer de réduire les fractures qui s'instaurent entre «communautés».

Ce texte est un récit de vie plus qu'une analyse. L'ancrage de l'auteure sur les deux rives de la Méditerranée et la fréquence de ses voyages, à vocation familiale ou d'agrément, lui montre une rigidification de l'Islam tant en France qu'en Tunisie. Alors que dans l'Hexagone cette tendance part être attribuée au paradoxe d'une laïcité à géométrie variable, en Tunisie elle s'expliquerait davantage par la dépendance économique, donc politique, aux pays au Golfe. Cette subordination est elle-même paradoxale vu le mépris latent des Maghrébins pour les populations berbères. Le racisme des Tunisiens à l'égard des Moyen-Orientaux parait accru mais n'empêche pas la pratique religieuse d'être influencée par le rigorisme wahhabite.

Encore aujourd'hui, chaque fois que je discute avec des enfants dits de deuxième ou troisième génération, je réalise à quel point mon statut est différent du leur en France. Car l'immigrée, c'est moi, comme l'étaient leurs parents. Moi, j'ai grandi là-bas et je reste définitivement imprégnée par d'autres coutumes. C'est ainsi que je constate régulièrement ma totale étrangeté face à ce qui a été reconstruit ici en termes de cérémonies, croyances, expressions, usage de la langue, bref une tradition qui n'est pas la mienne. Nous sommes les mêmes, mais pas tout à fait. Il m'arrive très souvent d'être étonnée de certaines pratiques. Outre les dérives religieuses actuelles dont on parle souvent, c'est bien le socle des traditions que je ne reconnais pas. Le temps de l'éloignement, la distance qui s'éternise pour certaines familles, l'absence de transmission (les parents étaient trop occupés à survivre, eux et leurs familles), mais aussi la cohabitation de cette culture avec les codes français qui est passée par là. Il en résulte une entité particulière due au rapprochement des cultures et des religions. Je suis en effet surprise par une forme de cléricalisation des coutumes musulmanes normalement absentes de l'islam sunnite qui est majoritaire en France. Je suis par exemple stupéfaite de l'ampleur que prend l'avis des imams qui se rapproche du rôle du prêtre, alors que j'ai évolué dans une société où son seul rôle était de conduire une prière.

p. 32-33

En France, Fatma Bouvet de la Maisonneuve remarque une opposition entre un idéal républicain et le renvoi des Arabes, des Arabo-descendants et, plus généralement, de tous les musulmans à une «communauté musulmane» qui serait homogène. Par ailleurs, les interlocuteurs privilégiés par les médias lui paraissent trop souvent engagés religieusement alors que ces populations sont aussi laïques que les autres habitants. Le refus d'organiser l'enseignement de la langue et de la civilisation arabes dans le cadre laïc de l'éducation nationale permet la récupération de l'apprentissage de l'arabe par les mosquées, dans sa version coranique. Cette pénétration de l'enseignement par le religieux s'observerait également dans le Maghreb.

Le voile, le foulard et tous ses équivalents représentent à mes yeux un outil d'assujettissement des femmes contre lequel des générations entières se sont battues. C'est d'ailleurs grâce à ceux qui ont aboli le voile que les femmes voilées ont accès aujourd'hui à l'instruction et à la parole pour revendiquer, avec un aplomb que je ressens comme du cynisme, le droit de le porter.

p. 81

Il est indéniable que les attentats (septembre 2001 et 2015, notamment) contribuent à une discrimination problématique. Toutefois, sur un point au moins, l'autrice peut être prise en défaut de chercher à tout prix l'apaisement : lorsqu'elle cite la Loi 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution en faveur des Français rapatriés [des départements et territoires antérieurement sous souveraineté française] elle insiste sur l'article 4 al. 2 qui a été abrogé le 16 février 2006, hautement litigieux il est vrai puisqu'il précisait que les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer [...]".

Chaque fois que je discute avec des jeunes hommes, et cela quelle que soit leur origine, je comprends qu'ils se sentent dévalorisés par des propos qui ne les incluent pas, mais qui les différencient et qui s'opposent à eux. Je formule d'ailleurs ici l'hypothèse que cela n'est pas étranger au mouvement général de conservatisme et de repli identitaire.

p. 74

La forme du témoignage et le ton mesuré, même si l'autrice n'est pas dénuée d'émotions, donnent un aperçu des discriminations que vivent les migrants tant dans leur pays d'origine que dans la terre d'accueil. Cette expérience personnelle lui permet une approche empathique des patient·e·s qu'elle reçoit mais reste insuffisante pour inspirer des politiques plus adéquates.

Discriminations : le no man’s land psychologique – Kiffe ta race
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