L'homme qui meurt

Baldwin James, L’homme qui meurt, Paris, Gallimard, Folio 2019.

Leo Proudhammer est terrassé par une crise cardiaque alors qu'il est sur scène. Cet accident l'oblige à se mettre au repos et l'incite à faire le point sur sa singularité d'homme noir et homosexuel dans le milieu théâtral.  Ce dispositif narratif permet à Baldwin de traiter ses thèmes de prédilection de manière moins polémique que dans ses essais... mais moins convaincante aussi !
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Le repos imposé au protagoniste, un acteur afro-américain réduit aux rôles connotés racialement ou au théâtre expérimental, lui permet de faire le point. Né à Harlem, Leo s'est distancié de ses origines. En s'installant à Greenwich Village, il a transgressé les implicites raciaux et s'est libéré des conventions hétéronormées.  L'accident cardiaque étant sérieux, la convalescence de Leo prend beaucoup de temps et le roman s'en ressent...
La relation de Leo avec son frère Caleb est cependant révélatrice d'une certaine inertie des positions raciales. Caleb initie son cadet au monde blanc en l'embarquant dans ses virées vers Manhattan. Mais récupéré par le système – il a fait son armée en Europe – Caleb adhère à une église fondamentaliste noire et tente de ramener Leo dans les normes. Dans Au pied de La Croix, l'écrivain traitait déjà de l'ambiguïté des églises qui offrent un message d'espérance tout en soumettant les fidèles à un ordre établi discutable. Les communautés deviennent alors lieu de réalisation de soi pour des leaders religieux qui captent des fidèles plus qu'ils ne contribuent à leur libération.

[…] je ne voyais aucun avenir pour nous, je ne voyais aucun avenir pour moi, surtout. Barbara était jeune et jolie, elle avait du talent et de la volonté. Rien ne l'empêchait d'atteindre les sommets. Sa réussite n'était qu'une question de temps. Et que pouvait-elle faire avec son amant, cet homme triste et noir, ce garçon enfermé dans une époque qui n'était pas la sienne, en un lieu qui n'était pas le sien, avec des ambitions déplacées, enfermées dans une peau qui n'était pas la bonne ? Si je gênais le déroulement normal de sa carrière, elle finirait certainement par me haïr, à juste titre. Mais je n'avais pas l'intention d'être un obstacle. La plus subtile et peut-être la plus effroyable des aliénations est celle qui est produite par la crainte d'être victime d'une aliénation. Étant certain que Barbara ne pouvait pas rester avec moi, je n'osais prendre le moindre engagement envers elle.

p. 418


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