Peindre les âmes

Arditi Metin. L’homme qui peignait les âmes. Bernard Grasset, 2021.

Le dernier roman de Metin Arditi nous emmène au Proche-Orient, il y a près d'un millénaire. Saisi par la beauté d’une icône du monastère de Mar Saba, à l’est de Bethléem, il écrit un conte pour en décrire la genèse.

Au contraire des icônes qui montraient des saints dans le propos de renvoyer le spectateur à son devoir de vénération, ses peintures – puisqu'il s'agissait de cela – étaient le miroir embellissant de son âme.

p. 231-232


Lors de sa restauration en 2012, l’icône du Christ Guerrier de l’église Theotokos apparaît dater du XIe s. plutôt que du XIVe s. comme son style l’avait laissé croire.
Sous contrôle arabe, la région était, déjà, au centre de conflits confessionnels. Un climat d'insécurité, lié à l'irruption de factions musulmanes qui revendiquent le contrôle de ce territoire, est exacerbé par les Croisés qui veulent étendre l'influence européenne. Une certaine tolérance permet cependant aux Juifs et aux Chrétiens orthodoxes de pratiquer leur culte. Arditi suggère que cette indulgence est étroitement encadrée : la fidélité à son Dieu et sa loyauté à son clan sont primordiaux.

[…] ce que tu fais n'est pas conforme à nos canons, tu le sais. Nous avons une tradition d'ascèse à respecter. Les corps doivent être immobiles, les visages allongés, les regards dans l'attente. Pas dans la sollicitation. L'icône doit parler à l'âme, pas aux sens. Tu peins des êtres humains, alors que tu devrais écrire la pensée du Christ.

p. 151-152

Ainsi l’attrait d’Avner, adolescent juif, pour les chants orthodoxes ne peut-il être considéré qu’avec réticence par sa famille. Cette fascination l’amène à s’intéresser aux images orthodoxes et à la production d’icônes. Un art strictement codifié, marqué encore par les querelles des iconoclastes qui a divisé l'église byzantine.
mar saba wiki

Monastère de Mar Saba – wikimédia

L'auteur décrit un Avner qui s'initie à l'écriture d'icônes, en parallèle à l'éveil de sa sensualité amoureuse, en marge des codes de sa famille. Pour découvrir l'ensemble des secrets de fabrication, il n'aura d'autre choix que de se faire baptiser et de fuir Acre, sa ville, sous la conduite de Mansour, un marchand musulman qui, par sa fonction, fait le lien entre les différentes communautés.
En rejoignant le monastère de Mar Saba, il intègre une congrégation d'iconographes reconnus et y développe son art. Son style, qui s'écarte des canons établis, fait son succès et suscite des jalousies : son œuvre est déclarée blasphématoire par sa capacité à apaiser l'âme humaine.
Metin Arditi montre une fois encore une forme de nostalgie d'un Moyen-Orient pacifié où cohabiteraient sans frottements les trois religions du livre. Le potentiel de divisions se développe au sein même des religions. Les Croisés déferlent et n'épargnent pas les orthodoxes byzantins; les différents califats chiite ou sunnite révèlent des compréhensions variées du coran. Arditi semble suggérer que l'instauration d'accords astreignants pacifierait la situation. Les peuples se côtoieraient plutôt qu'ils ne vivraient en harmonie. Cette posture contredit son constat que les différentes religions peuvent s'enrichir réciproquement.
L'écrivain interroge aussi les fondements de la foi. C'est peut-être l'aspect le plus intéressant de son roman. En réservant la production d'icônes à des moines initiés, l'église codifie la relation à Dieu; elle asservit l'homme à son autorité. Arditi défend une approche plus humaniste en soutenant que l'icône a un pouvoir d'élévation de l'homme, en le réconciliant avec soi et en lui donnant accès à la part de divin qui se trouve en lui.

Avner avait lu et relu les Textes. Il les avait étudiés, commentés. Il avait été ébloui par leur intelligence, leur finesse, leur concision. Mais il n'avait pas réussi à croire à la Révélation. Pas plus à cet instant qu'une année plus tôt, lorsqu'il s'était décidé à entreprendre le rude parcours qui menait au baptême. Il avait même acquis la conviction contraire, que la résurrection du Christ n'était pas à chercher dans les circonstances, qu'elle était partout, qu'il en allait de même pour celle des hommes, qu'à chaque instant la vie recommençait, pour chacun. Là était la véritable résurrection.

p. 67


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