Les saisons de Giacomo

Mario Rigoni Stern (1999). Les saisons de Giacomo 10/18. Paris: R. Laffont.

Le roman de Rigoni Stern complète l'éclairage de Rumiz sur les conséquences du conflit austro-italien après la Première Guerre mondiale. pour la région du Trentin et de Trieste. Les combats ont été intenses, la guerre de position a modelé le terrain. Il a surtout profondément affecté les habitants qui choisissent l'émigration pour survivre.

Giacomo apprend dans son livre d'histoire la version héroïque qui sous-tend la montée du fascisme.

Giacomo alla vers l'escalier où il avait accroché son cartable. Il prit son livre et retourna auprès du feu. Il l'ouvrit sous la lampe et il commença à lire, d'abord en silence, ensuite à haute voix⁤: « ... l'intervention de l'Italie. Notre peuple avait compris que l'heure était venue d’arracher au joug de l’Autriche les terres occupées et avec un vibrant enthousiasme il avait demandé qu'on déclarât la guerre à l'Autriche... »
-- Nous, on n'a rien demandé du tout, l'interrompit la grand-mère.

p. 55

Son quotidien n'est pas si glorieux⁤⁤ : l'activité la plus rémunératrice dans sa vallée est la récupération de métal sur les champs de combats. Le pouvoir exalte la bravoure par des rassemblements des organisations de jeunesse à caractère paramilitaire. L'érection d'un ossuaire monumental souligne les ambitions du Duce plus qu'il ne rend mémoire aux souffrances des soldats disparus.
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Ossuaire d'Asiago

Ceux qui avaient été à la guerre observaient que les tranchées autrichiennes étaient creusées profondément et que les défenses en position dominante étaient disposées sur plusieurs lignes, faisant point d'appui; là les barbelés étaient encore enchevêtrés et impénétrables. Ils racontaient aussi des histoires de patrouilles, de combats, ils rappelaient des noms d'officiers dans le bien comme dans le mal, des distributions absurdes de vivres et des moments de famine. Maintenant, en faisant ce travail de récupération, ils revoyaient leur guerre, non plus du fond d'une tranchée ou d'un sombre abri creusé dans le rocher, ou comme ils l'avaient vécue au paroxysme d'un combat ou d'un bombardement, mais à l'air libre, de la hauteur, debout, et ça avait un tout autre aspect : plus vaste, plus complexe, plus dramatique aussi.

p. 86


Marco Sabbatini pour Le Temps