La Suisse et les nazis

Boschetti Pietro, Les Suisses et les nazis : le rapport Bergier pour tous, Zoé poche, 2010.

Séance de rattrapage : le petit ouvrage de Pietro Boschetti est déjà paru sous ce format en 2010. Il fait une brève synthèse des plus de 11 000 pages de rapports de la commission Bergier.
Il y a 25 ans, à l'occasion du 50e anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale, la presse israélienne revendique la restitution des fonds déposés en Suisse par des juifs morts dans les camps de concentration, les fonds en déshérence. Cette demande provoque une tempête, en particulier après l'intervention du Sénat américain et du Ministère britannique des affaires étrangères.

Tout se passe comme si la bonne marche des affaires avait prévalu sur toute autre considération. Les dirigeants des grandes banques ont défendu leur position en invoquant le principe de la «liberté des affaires ». Ils ne se sont pas posé la question de savoir si ces prestations contribuaient à faire tourner l’économie de guerre du Troisième Reich. Bref, pour eux c'était du «Business as usual».

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Cette déferlante offre une occasion unique d'éclaircir le rôle de la Suisse pendant l'époque nazie puisque une commission est mandatée par l'Assemblée fédérale. Un très large accès aux archives publiques et privées lui est accordé.
L'auteur, indépendant de la commission, traite quelques uns des aspects abordés par cet organe : les réfugiés, les relations économiques, l'or, le transit ferroviaire et les filiales d'entreprises suisses en Allemagne. Ce que fait ressortir le journaliste, historien de formation, c'est le manque de sens politique des autorités. Bien que le Conseil fédéral ait reçu le 30 août 1939 des pouvoirs étendus dans les domaines législatif et constitutionnel, les pleins pouvoirs, l'économie dicte les relations avec tes puissances de l'Axe.
Concernant un chapitre douloureux de l'histoire suisse, la fermeture des frontières aux réfugiés juifs, Boschetti souligne l'importance du contexte. Les décideurs aux commandes du pays ont vécu comme un traumatisme les convulsions sociales qui ont suivi la Première guerre mondiale, attribuées pour une part à la présence d'étrangers en Suisse. La politique restrictive du Conseil fédéral, encouragée par le Général Guisan pour des raisons de sécurité, fait l'objet d'un large consensus. Lorsque l'exécutif consulte les cantons ou le Parlement, il est plutôt pressé d'être encore plus rigoureux. Cette fermeté s'inscrit dans le politique qui prédomine depuis les années 1920. Elle est particulièrement dirigée contre la population juive orientale. Comme le montre Le juif errant est arrivé, recueil de reportages d' Albert Londres, l'ostracisation des populations juives, comparable à celle qui touche aujourd'hui les roms, maintient de larges parts de cette société dans une misère crasse.
Cependant, de même que les règlements régissant les échanges commerciaux sont interprétés de manière laxiste, les lois qui limitent l'entrée sur le territoire des réfugiés ne sont pas toujours appliquées de façon rigoureuse. La possibilité d'entrer en Suisse, bien que fortement limitée, dépendait beaucoup du personnel à la frontière. Décréter un renvoi ou être face à une personne en détresse implique d'autres enjeux. Il est d'ailleurs significatif que les cantons frontaliers aient été moins péremptoires s'agissant de la politique d'asile.

[Le] libéral bâlois Albert Oeri s'écriera: «Notre barque n’est pas encore trop pleine, elle n'est même pas remplie.» Mais ces voix demeurent minoritaires au Conseil national. D’autres bien plus influentes préconisent une attitude encore plus musclée et un «égoïsme sacré », selon les termes du catholique-conservateur lucernois Heinrich Walther.

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Pendant la période nazie le suisse n'a pas respecté la neutralité. Elle s'est clairement montrée accommodante avec les régimes de l'Axe en prétextant de manière exagérée les menaces qui pesaient sur elle. Au sortir du conflit, les Alliés occidentaux ont notamment exigé la restitution de l'or acheté ou reçu des nazis. Mais ces pressions ont rapidement été abandonnées dans le contexte de repositionnement géostratégique conduisant à la Guerre froide.
La Suisse malgré ses compromissions n'a probablement pas joué un rôle prépondérant dans la Seconde guerre mondiale. Toutefois le discours concernant sa résistance est surfait. Les acteurs économiques connaissaient les conséquences de leurs engagements et ont pourtant fait primer leurs intérêts sur leur responsabilité morale.
Dans le monde contemporain, multilatéral, cette posture est toujours dominante : la recherche du profit précède l'engagement pour une politique responsable et durable, nécessaire condition à la préservation de la dignité humaine et du climat.

Commission indépendante d'experts Suisse – Seconde guerre mondiale (Commission Bergier)
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Un projet éditorial incomplet in Le Temps
Recension H/Soz/Kult de l'Université Humboldt, Berlin
Initiative populaire fédérale “Entreprises responsables – pour protéger l’être humain et l’environnement”Comité d'initiative