Qui a tué mon père ?

Edouard Louis, «Qui a tué mon père», Seuil, 96 p.

Brièveté du texte, efficacité du propos, éclatement de la syntaxe dans un roman qui clame une reconnaissance.

[…] et il dit Mais qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu pour avoir une famille comme ça, entre l'autre là
– c'est de moi qu'il parle –
entre l'autre, là, en plus d'un alcoolique qui n'est pas foutu de faire autre chose que boire, boire,
boire,
regarde-le,
il pointe du doigt mon frère,
le raté.

p. 62

Avec Qui a tué mon père Édouard Louis se distancie du narrateur d'En finir avec Eddy Bellegueule (2014). Il n'est plus l'homme blessé, maltraité par les siens. Le narrateur retrouve le père souffrant. Il décrit son retrait de la vie suite à ses déboires.

[...] le plus souvent, à cause de tes douleurs au dos, à cause de ton dos broyé par l'usine, de ton dos broyé par la vie qu'on t'avait contraint à vivre, pas par ta vie, ce n'était pas ta vie à toi, ta vie à toi justement tu ne l'as jamais vécue, tu as vécu côté de ta vie, à cause de tout ça tu restais à la maison [...]

p. 74

Jalonné de repères chronologiques, le roman décrit le processus qui a conduit les siens dans une situation explosive. Le narrateur ne reste pas coi devant le déchainement de violence qui en résulte. Il lance une flèche qui cible les gouvernements dont les discours tendent à cliver la société en désignant le petit peuple comme unique responsable de son sort et à le discréditer.

Je m'en suis rendu compte, quand je suis allé vivre à Paris, loin de toi : les dominants peuvent se plaindre d'un gouvernement de gauche, ils peuvent se plaindre d'un gouvernement de droite, mais un gouvernement ne leur cause jamais de problèmes de digestion, un gouvernement ne leur broie jamais le dos, un gouvernement ne les pousse jamais vers la mer. La politique ne change pas leur vie, ou si peu. Ça aussi c'est étrange, c'est eux qui font la politique alors que la politique n'a presque aucun effet sur leur vie. Pour les dominants, le plus souvent, la politique est une question esthétique : une manière de se penser, une manière de voir le monde, de construire sa personne. Pour nous, c’était vivre ou mourir.

p. 78-79

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Gruyères – Contrôleur de rondes créé par Collin Armand-Francois, rue Montmartre à Paris


Critique de Eléonore Sulser pour le Temps
Belle gueule d'Edouard ou dégoût de classe ? Jérôme Meizoz dans ConTEXTES