Peter usw

Lecoultre Alexandre, Peter und so weiter . L'Âge d'homme, 2020.

Opus décalé d'Alexandre Lecoultre sur un rythme très poétique. Les protagonistes, au premier rang desquels Peter, sont des marginaux évoluant dans le microcosme helvétique, autour d'un point de chute, le café du Nord.

Peter lit avec la difficulté, alors plutôt que de déchiffrer le journal, c’est comme ça qu’il se renseigne sur la pluie et le beau temps, en venant écouter les dames parler aux arrêts de tram. Lorsque le temps est incertain, ce qui est souvent le cas, il parcourt plusieurs arrêts, voire des lignes différentes, pour comparer et deviner l’évolution dans la journée.

p. 18


L'auteur utilise plusieurs artifices pour nous faire entrer dans le monde de Peter. En truffant son texte de mots en Schwiizertüütsch, il semble indiquer la pauvreté de sa langue, liée au manque de maîtrise de la parole. En se saisissant des mots entendus dans la rue, Peter laisse divaguer ses pensées. Son ingénuité nous mène dans un monde onirique qui masque ses tourments. Malgré son apparente insouciance, Peter aspire à une normalité : avoir une femme, trouver un travail qui lui permette d'être considéré plutôt que dénigré.

Il n’y a personne, les cloches sonnent, la brise souffle au travers des arbres. Peter va s'asseoir au banc du châtaignier. Ses fleurs montent en chandelles blanches vers le ciel, sous les grandes feuilles c’est le jeu d'ombres sur les paupières. Peter sent le soleil caresser le visage puis l'ombre le rafraîchir, noch aufwärmen dann erfrischen, aufwärmen, rafraîchir, aufwärmen, erfrischen, aufchauffen, erfraîchir, réchauffen, rafrischen, réwärffer, erfraîchen, aufauffer, errachen, na ja, mmmh. Peter s’est endormi les paumes vertes de chlorophylle.

p. 46

L'auteur joue avec son lecteur. Malgré l'indigence de sa langue, Peter est un fin observateur de la vie. Il se saisit des mots puis les combine en de nouveaux hybrides, dont il fait sonner les variations. Les objets du quotidien appréhendés par Peter conduisent son existence à l'image de la pantoufle qui dirige la vieille de femme dans sa spaziernade.
Bien qu'il situe son récit dans le dorf de Z. , on pressent que l'action se déroule dans une ville largement plus étendue. Cette discordance entre le texte et la situation décrite renforce le décalage d'un personnage multiple comme l'insinue le «und so weiter».

Sans vraiment l'avoir voulu, Peter le suit, comme on suit une idée le long des trottoirs, avant de monter dans un tram. Ils font ensemble quelques haltes sur la ligne 9.

p. 97

L'insertion de quelques pages en langage soutenu accroît la marginalité de Peter et de ses semblables sans toutefois les rendre responsables de leurs fragilités. Cette dissonance qui parcourt tout le roman le rend très attachant.

Entretien avec Christian Ciocca pour RTS Livre
Claudine Gaetzi pour viceversa littérature
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