Olga

Schlink Bernhard, Olga : Gallimard, Du monde entier, 2019.

Par sa construction, de manière sous-jacente, le roman de Schlink traite la problématique de l'élaboration de la mémoire. C'est par l'ensemble de sa vie qu'Olga devient emblématique d'un pan de l'histoire allemande. Le récit, inscrit dans un espace temporel long, comme Le liseur, se caractérise par trois styles bien différenciés.

Schlink a été célébré pour son roman Le liseur dans lequel se rencontrent Michaël et Hanna, un adolescent de 15 ans et une femme d'âge mur. Hanna reçoit chaque jour son amant qui lui fait la lecture à haute voix. Et soudain elle disparaît ; son passé criminel l'a rattrapée, comme il le découvrira après plusieurs années. Cette rencontre le confronte à la vie d'une génération marquée par le nazisme.
La rencontre d'Olga et de Ferdinand permet une approche différente de l'histoire allemande. Orpheline, Olga est élevée par sa grand-mère en lointaine Poméranie. Elle y découvre son ancrage dans la population pauvre, mais ce dont elle souffre particulièrement, c'est du manque d'affection de son aïeule. En si liant à Herbert Schröder, fils d'un riche industriel, elle échappe aux conventions. Mais, malgré une complicité qui dépasse les barrières sociales, Herbert répond maladroitement à l'amour d'Olga. Il déroge également aux attentes de sa propre famille en ne vivant que pour l'aventure et les grands espaces.
Schlink insère dans son roman des éléments biographiques d'un aventurier imprégné d'un rêve de grandeur de l'Allemagne. Herbert Schröder prit part à l'expédition impériale en Afrique du Sud-Ouest et à la guerre d'extermination contre les Hereros. Son désir de conquête se dirige ensuite vers l'Arctique où il disparaît en 1912.
En mêlant la destinée d'un explorateur réel à celui d'une institutrice imaginaire, l'auteur met l'accent sur le pouvoir d'influence des décideurs sur la population. Olga, en refusant le mariage qui l'aurait contrainte à renoncer à son emploi et à ses idéaux, est bien l'héroïne du roman.

Mais sa mort […] n'avait pas de réalité, pour Olga. Elle pensait à lui, lui parlait, le sentait exactement comme elle l'avait fait au cours de ses nombreux voyages. Elle avait appris à vivre avec un Herbert fréquemment et longuement absent. Elle ne ressentait pas de césure, comme si maintenant cela aurait été trop, et trop long.
Sans qu'il disparût encore de sa vie, l’hécatombe en France finit par lui faire concevoir qu'il pouvait être mort. L’amie qu'elle s'était faite à l’école normale lui écrivit que ses deux jeunes frères et plusieurs de leurs amis s'étaient fait tuer dans les grandes batailles de la Marne, des Flandres ou de Champagne, et Olga eut le sentiment que cette génération était anéantie, et Herbert avec elle. Elle avait eu du mal à se le représenter dans le désert de glace. Elle l’imagina sans peine participant à l’une de ces attaques dont parlaient les journaux et où ces jeunes hommes se précipitaient vaillamment et joyeusement vers leur mort.

p. 89

En dénonçant le rêve de grandeur de l'Allemagne bismarckienne, puis le nazisme, elle fait acte de résistance. C'est littéralement sourde au monde ambiant, elle traverse la Seconde guerre mondiale. Les revers de la Wehrmacht la contraignent à l'exil sur les rives du Neckar.
Schlink utilise un style très factuel, voire distant, pour raconter la vie d'Olga dans les terres perdues du Reich.
En Allemagne de l'Ouest, elle est encore active comme couturière. Elle endosse le rôle de grand-mère pour le jeune Ferdinand dans la famille duquel elle est régulièrement engagée. L'auteur en fait le narrateur auquel l'héroïne peut enfin prodiguer l'affection qu'elle aurait tant aimé recevoir. Le saut de générations implique des distorsions dans la transmission de son expérience de vie. Par son écriture Schlink souligne que les enjeux affectifs sont prédominants dans les années de formation, au détriment des faits et de leur analyse.
En inventant les lettres qu'Olga adresse « Poste restante » à son aventurier disparu, Schlink produit les sources qui intéresseront le narrateur bien après le décès d'Olga. Ces écrits, parfois une répétition des faits présentés dans la première partie, parfois la révélation de ce qui devait être tu, offrent un témoignage qui relie le lecteur à la destinée de l'Allemagne.

Stéphane Maffli pour Le Temps
Gallimard – entretien avec Bernhard Schlink