La valise

Dovlatov Sergeĭ Donatovich, La valise. La Baconnière, 2020.

Je ne saurais dire ce qui me prit. Était-ce mon esprit dissident refoulé qui se réveillait ? Ou la part criminelle de mon être qui réagissait ? Ou encore l'influence de mystérieuses forces destructrices qui me poussaient à agir ? Chacun de nous fait l'expérience de ce genre de chose une fois dans sa vie.

p. 39

La valise est la métaphore que choisit le journaliste et écrivain soviétique pour décrire ce qu'il emmène dans son exil. Si les divers chapitres nomment des pièces d'habillement, leur contenu se réfère davantage à des expériences qui en se succédant donnent l'impression d'un dévêtement. Les revers de l'auteur sont pourtant constitutifs de l'armure d'impassibilité dont il se recouvre.

L'unique but de mon émigration était la liberté créative. Je n'avais pas d'autres idées. Je n'avais pas même de griefs contre le pouvoir: j'étais habillé, chaussé et jusqu'au bout, dans les magasins soviétiques, ils vendaient des pâtes, je n'avais pas besoin de penser à la subsistance.

p. 153
entretien pour Slovo, 1988

Dovlatov manie l'ironie et de second degré pour décrire tout le mépris qu'il ressent. Aucune reconnaissance de son travail : ce qui importe à ses commanditaires, c'est qu'il ne dérange pas. Ils lui tiennent davantage rigueur de ses opinions que de ses retards. Une inertie qui ne nous est pas familière, mais qui agit tout aussi négativement sur l'auteur que les pressions à la productivité des économies capitalistes. Par son témoignage, l'auteur donne une piste de compréhension sur l'ambivalence que les habitants des pays du Pacte de Varsovie ont ressentie lors de leur ralliement à l'Europe occidentale.

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Marco Dogliotti pour Le Temps