Manquent à l'appel

Giorgio Scianna, «Manquent à l’appel», traduit de l’italien par Marianne Faurobert, Liana Levi 2016

Dans une note finale, Scianna indique la genèse de son roman : la fascination d'une certaine jeunesse pour Daech. Comment des adolescents, proches culturellement de l'auteur, peuvent-ils être subjugués par ces "hommes en noir"? Angoissé par ce constat, il réalise que ce n'est pas à l'idéologie que ces individus adhèrent.
C'est l'espoir d'une vie intense qui vaudrait la peine d'être vécue.

Ces deux jours ont été les plus beaux de toute ma vie, cet été à Kos, le plus bel été de toute ma vie. On s’est contentés de faire les cons, comme des centaines de jeunes l'avaient fait avant nous sur cette île, mais pour nous quatre, c'était différent. Tout était parfait, calme et intense. Ces jours-là, on était comme dans un sas en attendant le grand plongeon. On formait un seul corps. On ne se serait pas sentis aussi bien si on n'avait pas su qu'on était à la veille d'accomplir ensemble quelque chose de plus grand.

p. 42-43

A la rentrée des classes, quatre chaises restent vides. Les adolescents sont partis en Grèce pour leurs vacances estivales. Quelques indices permettent de préciser qu'ils ont ensuite rejoint la Turquie.
Comme le précise Scianna, la trame de son roman n'est pas basée sur des faits réels. Ce texte n'est pas le récit d'une radicalisation ou d'une dérive vers la délinquance mais un roman sur l'adolescence et la relation entre parents et enfants. Il ne correspond pas aux textes journalistiques qui décrivent les départs de combattants pour la Syrie.
Il questionne cependant les valeurs de la société contemporaine et la confrontation à la réalité. Les lycéens dont il est question sont issus d'un milieu aisé et vivent une existence banale nourrie d'images et non d'imaginaire.

Mon père s'épuise de jour en jour. Aller travailler à Milan le crève et il s'endort sur le canapé. Quand il émerge, il nous regarde du coin de l’œil en espérant qu'on ne, l’a pas vu et qu'on le croit captivé par le film. Ma mère aussi s'ennuie, elle préfère de loin les séries. Benedetta est scotchée à l'iPad. On est tous les quatre piégés devant un écran qu'aucun de nous n'a envie de voir.La première vidéo qu'on a regardée ensemble était géniale, Aujourd’hui encore, quand j'y pense, j’hallucine. C’est un truc vraiment spécial. Ce n’est pas du recrutement, ils ne font rien pour te recruter, en tout cas pas en apparence, c'est toi-même qui te projettes là-bas. Au début, il y a toutes ces images chiantes des journaux télévisés, Obama, le G8, le Vatican, et puis elles éclatent, l'une après l'autre, comme des bulles de savon. Les guerriers qui bougent au ralenti sont la seule chose vivante, en mouvement, dans un monde figé, mort.

p. 116

En mettant au centre l'enquête qui devrait permettre de retrouver leur trace, Scianna cherche à questionner le but de leur fuite.... et de manière plus large peut-être leur ancrage dans la vie.

Critique de Jean-Bernard Vuillème pour Le Temps
Le site de l'éditeur