Un médecin contre la tyrannie

Favre Philippe. 1352 , un médecin contre la tyrannie. Favre, 2014.

Avec son premier roman historique, au cœur du XIVe s. valaisan, Philippe Favre rappelle un contexte complexe où le jeu des alliances n'a rien à envier aux compromissions géopolitiques contemporaines. En faisant de Guillaume Perronet, physicus de Loèche – le médecin – son personnage principal, l'auteur cible la tension entre science et croyances populaires qui favorisent le contrôle des populations.

Pour les personnes que je soignerai ici, tous mes gestes, quels qu'ils soient, seront attribués à l'art médical. La seule source de méfiance proviendra du clergé, très sourcilleux sur tout ce qui touche à la guérison sans faire appel à l'intercession d'un saint ou de la Vierge; le risque d'être accusé de pratiques magiques est à prendre au sérieux.

p. 59


Les différences culturelles entre Haut et Bas-Valais sont déjà présentes avec une frontière linguistique en amont de la Raspille. La proximité des Waldstätten imprègne déjà la partie germanophone qui serait plus encline à défendre son identité que la prospérité liée au passage des cols du Simplon et de Mont-Joux (St. Bernard).
Ces voies commerciales ne sont pas seulement source de revenus, elles sont aussi vecteurs d'épidémies. Si Guillaume Perronet recherche les causes infectieuses des maladies, l'Eglise privilégie encore les justifications morales et religieuses. Cette interprétation de la maladie comme manifestation de la justice divine sert l'église qui en profite pour garder le contrôle des populations et s'enrichir. Cette posture repose davantage sur le conservatisme que sur une volonté consciente de maintenir le peuple dans l'ignorance.
En intervenant pour soigner les malades, Guillaume défie donc la volonté divine. Il est au cœur des conflits entre les pouvoirs spirituels et temporels.
Favre se concentre sur l'époque agitée du milieu du XIVe s. qui, suite aux changements d'évêque à Sion et de comte à la tête de la Maison de Savoie, touche durement les habitants. À la fin du Moyen-Age, la personnalisation des pouvoirs permet ainsi déterminante pour le bien-être des populations : tel prince peut donner une grande autonomie aux autorités locales alors que son successeur la contestera, souvent pour s'enrichir davantage. Un même territoire étant soumis aux autorités civiles et religieuses, il suffit que noblesse et évêque exacerbent leur concurrence pour que le peuple soit opprimé.

«Charles sera bientôt le père de l'Empire. Quel père soutiendrait indéfiniment l'un de ses enfants au détriment d'un autre ? Peut-être est-il temps pour nous de grandir. Les gens d'Ernen en ont appelé au landamann d'Uri. Les communes du bas en ont appelé à l'empereur. Quand apprendrons-nous à accorder notre confiance à nous-mêmes ? Celui qui a de vrais amis, a-t-il besoin d'aller chercher du soutien à l'étranger ? Qui, mieux que ceux des communes voisines partage les mêmes intérêts, les mêmes craintes et les mêmes espoirs que nous ? Mais au lieu de nous faire confiance, de part et d’autre du fleuve, nous préférons nous disputer les terres cultivables, quitte à diriger les courants dévastateurs vers nos voisins habitant la berge d'en face.»

p. 428

Le jeu d'alliances, qui se font et se défont pour mieux contrôler le territoire, implique une grande discontinuité économique. Les villes qui ont obtenu des franchises et qui parviennent à les conserver se développent mieux – mais l'attrait qu'elles exercent peut aussi les fragiliser, notamment en augmentant la promiscuité.
Le roman de Favre relativise la mythologie du peuple libre; sans garant de son indépendance, une communauté peut facilement être asphyxiée. Perronet permet au Valais de se soustraire à la tyrannie d'Amédée VI en sollicitant la protection de l'Empereur Charles II de Bohême, une aide qui ne peut être que provisoire tant le roi joue un prince contre l'autre pour pérenniser son règne.
En émaillant son texte de notes historiques (sans sources), l'auteur atteste de faits qui ont marqué cette période tumultueuse en Valais. Leur absence, à l'inverse, suggère une dramatisation romanesque d'une suite d'événements dans laquelle il est difficile de se retrouver.

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