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Jacaranda

Faye Gaël. Jacaranda . Bernard Grasset, 2024

— Tu sais, l'indicible ce n'est pas la violence du génocide, c'est la force des survivants à poursuivre leur existence malgré tout.
La nuit était douce, elle s'enroulait autour de nous comme un boa de plumes.

p. 135

Le hasard de mes découvertes fait se suivre trois traces qui s'inspirent de la constitution de l'identité multiple des métis. Lorsque Gaël Faye écrit Petit pays, plus tard adapté au cinéma, on revit la tragédie rwandaise avec les yeux de celui qui, au sortir de l'enfance, se trouve subitement immergé en France.



Je perds la raison, à la maison, plein de cadavres dans le placard
Nos passés de génocide, d'exil, tout ça n'est que blackout
Je cherche le vacarme de la rue, le silence des livres
J'habite une cabane sur la lune quand le monde se délite
J'ai vu les fins de monde, les carnages, les lynchages à l'essence
Et j'observe les jeunes de mon âge, j'envie leur innocence
Ne savent pas que tout est possible, que tout peut s'effondrer

Taxiphone
Gaël Faye / Guillaume Poncelet

Cet arrachement à l'Afrique et la nécessité de se construire une nouvelle identité est au cœur de ce nouveau roman dans lequel Milan apparaît en double de l'auteur, adulte qui a besoin de comprendre l'origine de la violence génocidaire mais qui doit surtout briser la digue de silence que cette tragédie a renforcée dans sa famille.
En écrivant une chronique familiale sur cinq générations, Gaël Faye aborde l'incidence de l'Histoire sur les parcours de vie individuels. Avec délicatesse, il suggère que toutes les incongruités ne sont pas réductibles à ces drames, bien que la litanie des noms des disparus et des massacrés indique l'impact majeur de la violence institutionnelle.

Eusébie m'avait prévenu et j'étais passé le matin pour constater les dégâts. La parcelle était défigurée. À la place de l'arbre, il y avait dorénavant un grand trou de lumière crue exposant le jardin à la morsure du soleil carnassier. Fini, l'ombre protectrice et la fraîcheur. Le lieu était méconnaissable. Il avait comme disparu.

p. 257


En abordant plus ou moins un siècle d'histoire rwandaise, l'auteur tend à une certaine exhaustivité. Trente ans déjà depuis le paroxysme de 1994, une génération qui a profondément modifié le paysage avec l'amélioration des infrastructures. Une évolution qui a rendu Kigali méconnaissable : le jacaranda a disparu pour laisser place à une résidence, emportant avec lui une part des secrets familiaux. La lumière crue qui éclaire désormais ce lieu dessine de nouvelles ombres. En cherchant une voie pour libérer le pays des traumatismes – notamment par les gacaca –, le gouvernement tente de mettre fin au poison de l'ethnicité manipulé par les colons. Cette politique n'est cependant pas dépourvue d'ambiguïtés et certains la considère comme une exploitation du génocide. Quelle est la juste mesure à établir entre mémoire et projection dans le futur, une question qui taraude Gaël Faye.

Salomé Kiner pour Le Temps
Les inspirations de Gaël Faye
Pierre Philippe Cadert pour RTS culture
Fou d'histoire
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