Le lait de l'oranger

Halimi Gisèle. Le lait de l’oranger. L'imaginaire, Gallimard, 1988.

Je n'aimais pas le lait et je détestais la contrainte. Mais je croyais juste de l'imposer à l'[oranger] qui m'était si cher.
La vie entre les gens, l'histoire entre les peuples sont faites de ces contradictions. Se font à travers ces contradictions.

p. 95

Le récit autobiographique de l'avocate Gisèle Halimi fait écho aux polémiques de notre ère postcoloniale.
Naître en Tunisie en 1927, femme séfarade prédestine à une vie dans l'ombre. Une éducation française crée le paradoxe. Les valeurs sur lesquelles se fondent la République sont en contradiction avec le contrôle de la population maghrébine.

Dès le début des années 1950, l'avocate défend des indépendantistes algériens en faisant valoir leur droit à une justice équitable ; plusieurs clients auxquels elle permet d'échapper à la peine de mort mourront dans des actions de représailles.
Cet engagement, téméraire, implique une existence nomade peu compatible avec la vie de famille. Gisèle Halimi confie, non sans un fort sentiment de culpabilité, ses enfants à ses parents et à des tiers pour s'engager dans la cause féministe – dénonciation des viols, droit à l'avortement –. Les victoires obtenues sont significatives, mais le combat n'est pas terminé. Les femmes le poursuivent en vue d'obtenir une véritable reconnaissance, sans jugement moral, de leurs engagements professionnels et/ou publics. En effet si les positions de Gisèle Halimi la destinent à une percée politique et si sa notoriété lui permet une élection aisée à l'Assemblée nationale sous les couleurs socialistes, elle restera considérée avec une certaine condescendance.

J'agissais comme un homme, mais j'étais jugée comme une femme. Je ressentais bien ma dépendance affective et mon conditionnement culturel. J'avais beau chasser de mon esprit tous les stéréotypes sur l'amour maternel et son cortège de sacrifices, ma mauvaise conscience me coupait en deux.
Une certitude me permettait parfois de surmonter ce conflit. Mes fils, je les aimais. Plus que personne, quelquefois contre moi-même. […] Ma mère, les religions, mes ennemis pouvaient insinuer le contraire. Rien ne changerait cette évidence: je les aimais.

p. 233


Gisèle Halimi ne se considère pas en transfuge de classe. Pourtant elle mentionne un écartèlement entre son milieu d'origine et sa situation d'avocate parisienne. Un tiraillement renforcé par sa condition de femme dans un milieu alors essentiellement masculin et relevant, pour les affaires algériennes, de la justice militaire. Cette disparité se ressent jusque dans l'écriture. Les textes qui composent ce récit publié en 1988 alternent un style châtié et une expression plus libre, concise et percutante.

En tout homme sommeille un machiste quelle que soit son intelligence ou sa sensibilité. Innocent ou coupable.
Innocent et coupable, presque toujours. Innocent parce que victime d'un conditionnement socioculturel, un phénomène de boomerang, forgé à son profit, qui finit par l'aliéner lui-même. Innocent s'il prend conscience des hiérarchies économiques, du sexisme des rôles et s'il refuse de s'en servir.

p. 310



Gisèle Halimi, la cause des femmes – Radio France
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