Noire

de Montaigne Tania, Noire, La vie méconnue de Claudette Colvin suivi de L'assignation, les Noirs n'existent pas. Grasset Livre de poche. 2015, 2018

Porter le nom d'une personne célèbre peut être encombrant, en particulier quand on exerce le même métier. C'est le constat que fait Tania de Montaigne née pourtant près de 450 ans après son illustre homonyme.

Rosa Parks n'est pas Claudette Colvin, parce qu'elle est une victime indéniable, admirable, parce que, de ce fait, elle est tous les noirs. Elle est le miroir tendu, un reflet sans taches, sans ombres. Elle dit à ceux qui la soutiennent leur propre valeur, elle est « bigger than life », plus grande que la vie. Elle est tout à la fois, singulière et universelle.

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Claudette Colvin
Certains noms convoquent un imaginaire qui va à l'encontre de certaines réalités : la journaliste et autrice Tania de Montaigne est bien une femme noire, souvent soupçonnée d'écrire sous pseudonyme. Ce vécu lui permet de décrire avec précision, mais sans acrimonie, le malaise de celles et ceux qui sont assignés à une position sur la seule base de leur origine (un euphémisme confortable pour «race»), de leur genre ou de tout autre critère qui justifierait une hiérarchie sociale.
En usant d'un « vous » respectueux dans Noire, l'écrivaine cherche à impliquer sans véhémence le lecteur. Une tonalité particulièrement adéquate pour ce portrait de Claudette Colvin. Une adolescente de Montgomery, Alabama, qui, quelques mois avant Rosa Parks, a refusé de céder sa place dans un bus municipal. Si le nom de Colvin n'apparait pas dans les livres d'histoire, c'est qu'elle n'était pas assez pure pour symboliser l'iniquité des lois Jim Crow. Son oubli est emblématique de l'effacement subi par de nombreux précurseurs dont la simple humanité ne suffit pas à en faire des icônes.
En rappelant que Martin Luther King a été impliqué dans cette cause car il était le plus jeune leader religieux et le dernier arrivé en ville, l'autrice note que ses collègues auraient pu lui attribuer la pleine responsabilité d'un possible échec du boycott. En précisant que la figure de Rosa Parks n'a émergé qu'après l'assassinat du pasteur, elle montre aussi comment s'est construit le récit de ces avancées. Cette âpre lutte, dont les effets sont encore sensibles aujourd'hui, exploitait tous les interstices pour défendre les positions opposées – de fait dans les bus de Montgomery les Noir·e·s n'étaient pas tenues de céder leur place si tous les sièges étaient occupés, alors qu'elles devaient le faire dans les véhicules opérés par l'Alabama. À cet égard, la posture résignée de Rosa Parks – qui contrairement à Claudette Colvin – n'a pas protesté de son bon droit face aux forces de l'ordre ne remettait pas fondamentalement en cause la soumission du noir.

Le maire, appelé à la barre, confirme qu'il croit à la ségrégation et rajoute que c'est son travail de faire en sorte que les lois soient appliquées. Quand on lui demande s'il y a eu des problèmes de violence depuis le début du boycott, le maire répond: « Ma responsabilité est d'anticiper, pas d'attendre que les problèmes apparaissent.» Propos appuyés par le responsable de la police, qui, lui, prédit que « la violence sera constante si on supprime les lois de ségrégation».

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En adoptant le « je », Tania de Montaigne livre avec L'assignation un témoignage. En le ponctuant de la question « Qu'est-ce qu'une Noire ? », elle relève combien le phénotype prend toute la lumière au détriment de ses caractères intrinsèques. Des qualités qui étaient aussi déniées à ses ancêtres nés esclaves. Que l'on puisse encore réduire un individu à sa couleur de peau montre que chaque citoyen n'est pas encore reconnu à égalité.

Par un tour de passe-passe idéologique, on en arrive à l'idée qu'une personne n'est déterminée que par sa couleur, pas du tout par l'endroit où elle vit, la langue qu'elle parle, l'histoire qui l'a construite. Plus de culture, juste la Nature qui nous définirait malgré nos expériences singulières. Et, si je dis que je suis noire sans majuscule, ça complique l'affaire. Soudain, le mot redevient un adjectif, il appelle d'autres précisions, et, de ce fait, sort du registre de la Race pour entrer dans celui des couleurs.

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La journaliste relève le danger de cette assignation qui conforte un sentiment identitaire tel qu'il se manifeste dans la langue par la préférence à l'expression Noir de France pour désigner un Français noir et renforce ainsi les communautarismes.

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