Tortues

Pellegrino Bruno, Tortues, Zoé 2023

Le vécu affleure dans les premiers romans de Pellegrino. Les récits de ce recueil, dans leur dimension intime, nous dévoilent l'articulation entre l'expérience vécue et la création littéraire. Une certaine fascination pour les temps révolus ne l'empêche pas de les aborder avec les outils du présent.

Mais j'ai beau faire, ce que je trouve, ce que j'en dis, ne parlera jamais que de moi.

p. 84




Je déteste avoir oublié, et le savoir. Distinguer les contours du vide sans être capable de le combler. Il est peut-être normal que je ne me souvienne pas, mais je refuse de me faire à l'idée que mon corps n'a rien retenu des lieux où il s'est trouvé.

p. 51


Ces textes qui dégagent une certaine naïveté juvénile abordent les paradoxes de la société moderne. En évoquant une peur du manque, une avidité de découvertes et de connaissances qui si concilie mal avec le souhait de se concentrer sur l'essentiel .
La constitution d'un fonds littéraire s'accorde mal avec le dépouillement de la vie nomade. Malgré sa rationalité apparente la digitalisation ne facilite pas la sobriété; au contraire, la volatilité des supports électroniques encourage à une abondance que l'invisibilité rend réfractaire à toute organisation.
Ce vif intérêt pour la mémoire, une obsession même ?, d'un jeune trentenaire intrigue. Il exprime surtout une époque qui enjoint à la totale transparence, une objectivation dont les récits de Pellegrino révèlent la futilité.

À l'adolescence, sur le conseil de ma mère, j'avais tenu une liste de mes dépenses pour comprendre où disparaissait mon argent de poche. Réponse : dans les choses minuscules – un Coca ici ou là, un magazine, un billet de bus. Ce journal m'a révélé la même évidence au sujet du temps, qui disparaît pour l'essentiel dans la petite monnaie, les minutes dispersées, vécues sans y penser.

p. 119



Site de l'éditeur
Ellen Ichters pour RTS-culture
Isabelle Rüf pour Le Temps