Harlem Shuffle
New York, Harlem, St Nicholas Park
Une ville est en mouvement, New York ne fait pas exception. Avant l'édification du World Trade Center, tout un quartier racontait une histoire de Manhattan.Le quartier avait disparu, rasé. Sur quatre pâtés de maisons au sud du New York Telephone Building et à l'est de l'immonde West Side Highway, tout avait été détruit et effacé, jusqu'aux panneaux de rue et aux feux tricolores, pour laisser place au chantier du World Trade Center. Les séquelles d'une bataille ruineuse.
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Il en va de même de Harlem qui a subi de nombreuses mues. Cette évolution se lit en contrepoint du roman de Colson Whitehead.


Emeutes à Harlem, 1964 – wikimedia commons
Whitehead choisit d'aborder les faces sombres de ce quartier au travers de Ray Carney. Héros ambigu qui vise l'émancipation avec un magasin de meubles design. Il peine cependant à s'extirper de son milieu et poursuit une activité de receleur.
Cette ambiguïté reflète celle de la société. Les fabriques refusent la représentation de leurs marques sous prétexte qu'elles ne sauraient convenir à la population noire. Par contre Carney peut écouter les marchandises volées dans tout Manhattan.Le nom du magasin sur la vitrine - en lettres austères à la peinture dorée - promettait une chose, l'entrée miteuse en faisait entrevoir une autre, et cette pièce en proposait une troisième, qui relevait de l'expérience spirituelle.
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Dans ce Harlem du tournant des années 1960 les conditions sociales rendent la transgression tentante. Les personnages de Whitehead, qu'ils soient Blancs ou Noirs mènent pour la plupart des activités illégales : consommation et trafic de stupéfiants, corruption, fraude fiscale. La ségrégation et les luttes pour les droits civiques sont des vecteurs de violence. La mort de James Powell, 15 ans, tué par un policier en 1964, déclenche une semaine d'émeutes.
L'auteur s'attache à des individus qui s'affranchissent des lois, à tel point que la délinquance semble la norme. Les pointes d'humour – notamment l'attention maniaque de Carney au mobilier le plus up-to-date – donnent une note parodique. Cette emphase sur les turpitudes des protagonistes occulte pourtant les éléments historiques et sociaux qui faisaient la force de Underground Railroad et de Nickel Boys.Black Star organisait des voyages d'affaires et d'agrément pour une clientèle de couleur, réservant des chambres dans des hôtels déségrégués appartenant à des Noirs, aux États-Unis et ailleurs, principalement dans les Caraïbes, à Cuba et à Porto Rico. L'agence sélectionnait aussi des spectacles à ne pas rater ; conseillait des banques, des tailleurs et des restaurants accueillants ; listait les théâtres de La Nouvelle-Orléans et d'ailleurs qui disposaient de sièges pour les Noirs et ceux qui leur fermeraient la porte au nez.
L'Amérique était un grand pays souillé par des régions faisandées où régnaient l'intolérance et la violence raciales.p.103
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