Mourir, partir, revenir

Abī Rāshid Zaynah, Le jeu des hirondelles : mourir, partir, revenir, [Nouvelle édition]. Cambourakis, 2020.
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Peu importe qui était Florian.
Dans un pays où le programme d'histoire dans les livres scolaires s'arrête,
comme les souvenirs de ma grand-mère,
le 13 avril 1975, il a contribué à transmettre un fragment de notre mémoire.

p. 209

Parue un mois après les explosions dans le Port de Beyrouth, cette version augmentée du Jeu des hirondelles rappelle que la guerre qui a fracturé le Liban de 1975 à 1990 le fragilise encore durablement. Zeina Abirached, née à Beyrouth, installée à Paris, ne peut laisser tomber dans l'oubli ces années tragiques.
Son dessin, dans lesquelles se juxtaposent surfaces blanches et noires, rend compte avec poésie et efficacité de la tension que représente l'état de guerre. L'album raconte une banale soirée à Beyrouth, un souvenir d'enfance. Ses parents sont allés trouver leur grand-mère, à quelques rues de leur domicile.

Pour éviter le franc-tireur, les habitants du quartier avaient mis au point un système de circulation entre les immeubles. Pour traverser les quelques rues qui nous séparaient, il fallait respecter une chorégraphie complexe et périlleuse.

p. 15

Dans la ville assombrie, un franc-tireur menace. La dessinatrice rend compte du rétrécissement spatial et de l'étirement temporel que vivent les Beyrouthins au quotidien. La répétition des plans inscrit le repli dans un rituel bien exercé, mais qui n'empêche pas l'anxiété. L'autrice allège son récit par de subtils artifices qui amènent des touches d'humour dans un quotidien tendu. Alors que la nostalgie enfle simultanément à l'amoindrissement des projets, Zeina Abirached détourne notre (at)tension par un souvenir propre à l'enfance.
La lutte actuelle contre le coronavirus implique aussi un reversement de nos habitudes et la dissolution de nos repères spatiotemporels. La comparer à une «guerre» serait néanmoins abusif. Dans les deux situations, l'impact sur les individus est réel bien que, comme le suggère Zeina Abirached, il dépend de facteurs individuels, économiques en particulier. Les moyens médicaux mis en œuvre contre la pandémie devraient éviter la prolongation de ce marasme et, aussi redoutable et inattendu qu'il soit, le virus laissera davantage de cicatrices symboliques que matérielles.

– Vous les jeunes, vous pouvez encore partir et sauver votre avenir !
– Ou rester... et essayer de sauver le pays !

p. 64

Histoire d'une rue sur le passage du musée – 20 février 1984 – INA



Site de l'éditeur
Le site de l'autrice
Portrait de Zeina Abirached par Ariel Herbez (Le Temps)
Lisbeth Koutchoumoff Arman pour Le Temps