Le Tonneau magique

Bernard Malamud, «Le tonneau magique», traduit de l’américain par Josée Kamoun, Rivages

Treize nouvelles, chacune consacrée à des gens ordinaires, artisans fraichement immigrés ou installés de plus longue date.
La plupart de ces portraits publiés en 1959 sondent l'âme humaine et pas toujours sa meilleure part.

Le métro le conduisit jusqu'à la 116e rue, et de là, il s'aventura dans un monde obscur et sans repères. Il était vaste, ce monde, et ses lampes n'éclairaient rien du tout. Partout des ombres, souvent mouvantes. Manischevitz claudiquait en s'appuyant sur sa canne, ne sachant où chercher dans ces immeubles de rapport noircis, scrutant en vain à l’intérieur des boutiques à travers la vitrine. Il y voyait des gens, et ces gens étaient tous noirs - il n'en revenait pas.

L'ange Levine – p. 64-65

Certes les conditions de vie dans les immeubles minables de New York sont difficiles et le frottement des cultures implique plus la concurrence que l'entraide. On cherche à se tirer de cet environnement sordide.

Décidément, Sobel était bizarre: lire autant, lui qui n'avait pas fait d'études ! Du reste il lui avait un jour posé la question : Sobel, pourquoi tu lis comme ça ? Et l'ouvrier avait été incapable de lui répondre. Tu as étudié à la faculté, dans le temps ? L'autre avait fait non de la tête. Il lisait pour savoir, disait-il. Mais pour savoir quoi, avait repris le cordonnier, et puis savoir, pourquoi ? L'ouvrier ne lui avait jamais répondu, ce qui prouvait bien qu'il lisait autant parce qu'il était bizarre.

Les sept premières années – p. 19


Le regard porté sur l'autre est interrogateur, même lorsqu'il appartient de fait au même milieu, par exemple, professionnel. Et celui qu'on a sur soi est désabusé. En quoi son appartenance, notamment sa judéité, nous apporte-t-elle une plus-value? Le carcan des croyances ou des traditions que certains s'imposent est davantage un poids qu'une libération.
Pickle Guy NYC

The Pickle Guys, pickles kasher dans Lower East Side

Dans son récit La dame du lac, qui a pour cadre les îles Borromées, Malamud, invite à aller au-delà des apparences. Le premier regard est rarement pertinent, la vérité se découvre petit à petit dans l'écoute réciproque et non dans la projection de ses envies.
Bien qu'écrites à une époque où la perspective d'améliorer ses conditions d'existence était réaliste, les nouvelles du Tonneau magique ont une tonalité pessimiste voire cynique.

Critique d'André Clavel pour Le Temps
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