Des phrases courtes

Fleutiaux Pierrette, Des phrases courtes, ma chérie. Actes Sud, 2001.

Après l'hommage au père de Ernaux, la relation ambiguë à la mère de Fleutiaux. Pour les deux autrices, le choix des mots pour traiter du lien à leur parent, une interdépendance à grande charge émotionnelle, s'avère particulièrement important.

Sept ans pour accompagner l'entrée dans la vie de mon enfant, sept ans pour accompagner la sortie de la vie de ma mère.
Cela m'est assez étrange de dire "je", "mon enfant", "ma mère". J'ai détesté mon enfant (pas lui, bien sûr, l'enfant simplement) de me tenir si près de mon "je", si collée, j'ai détesté ma mère pour cette même raison. Mais elle plus violemment, furieusement, une rage à la mesure de notre attachement. L'enfant était sur la trajectoire de l'éloignement, mais ma mère était sur celle des pitons, hameçons, harpons lancés à tout va, de l'étreinte totale avant le grand plouf et au-delà. Au-delà.

p. 13

Le roman de Pierrette Fleutiaux cherche à décrire avec précision son ressenti face à la vieillesse et au décès de la mère. Un temps pendant lequel les rôles s'inversent sans pour autant que les hiérarchies ne s'effacent. En utilisant la métaphore de la cellophane, elle décrit l'estompage de la personne. L'effet de cette pellicule varie selon la distance à laquelle le sujet se tient, le rendant plus ou moins méconnaissable, au risque même de l'asphyxier.
Si l'éducation d'un enfant conduit à l'émancipation, l'accompagnement d'un parent âgé met face à la finitude. La narratrice dont la mère jalouse la jeunesse ne se sent déjà plus une vitalité juvénile. Elle est d'autant plus sensible à traiter son aînée avec compréhension qu'elle éprouve déjà le rapprochement d'une échéance. Mais cette relation est parfois exaspérante, tant son dévouement parait ne jamais suffire.
En comparant la maison de retraite à un pensionnat, Pierrette Fleutiaux ne glisse pas seulement une pointe d'humour mais constate que lors de cette étape les habitudes privées laissent place à des normes institutionnelles. Ce glissement influence forcément la perception de soi et nécessite un apprentissage de reconstruction de son image.

Je veux me rappeler comment l'écrivain a profilé ses phrases pour entrer dans son sujet.
D'ailleurs, le "comment" ici est de trop. Je veux simplement rééprouver cela : que certains se consacrent à profiler des phrases pour pénétrer des mondes qui, sans ces phrases ainsi exactement profilées, resteraient inconnus.

p. 56

L'autrice choisit ses mots avec soin. Il ne s'agit pas seulement de répondre à l'injonction de sa mère qui, dans son enfance, attendait qu'elle écrive des phrases courtes pour rester compréhensible. Par son lexique, elle montre une grande capacité à se décentrer et à considérer le ressenti des autres. Cette empathie est aussi une qualité de son ultime roman, Destiny.
La similarité des romans de Annie Ernaux et de Pierrette Fleutiaux, le lien aux parents décédés vu par deux femmes nées au début des années 1940, offre aussi un regard sur la société. Les grands-parents des deux autrices travaillaient la terre. Si les parents de Ernaux étaient de condition très modestes, ceux de Fleutiaux s'étaient déjà quelque peu embourgeoisés. Leur perception de la société en est influencée, mais l'une et l'autre tiennent à honorer leurs géniteurs en reconnaissant la spécificité de leur parcours de vie. Nul engagement politique sinon une invitation à considérer l'autre avec bienveillance.

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