L'homme des bois

Bailly Pierric. L’Homme des bois. Folio POL Editeur, 2017.

Dans ce texte émouvant Pierric Bailly confirme son profond attachement au Jura. Au-delà de la toponymie qui définit les limites géographiques, l'auteur sait mettre en évidence le tissu économique et la diversité sociale de ce département frontalier. En cassant les clichés, il donne un cadre à la dimension de son père mort tragiquement.



Sur les huit enfants Bailly, en comptant mon père, ils sont six à vivre encore dans le Jura. Les petits-enfants par contre se sont presque tous sauvés à l'autre bout du monde. Je fais partie de ceux qui se sont le moins éloignés.

p. 25

La chute lors d'une balade en forêt d'un homme énigmatique, à quelques mois d'une retraite attendue, pourrait donner à un romancier la trame d'un bon polar. Suite à ce décès, Bailly nous livre un récit autobiographique qui explore l'intimité du deuil et le trouble causé par l'incertitude.

Depuis trente ans il agissait sur le terrain.
Il a consacré l'essentiel de sa vie professionnelle à mettre en pratique les idées socialistes, au sens philosophique du terme, c'est-à-dire à lutter contre les inégalités, en œuvrant auprès de populations défavorisées, handicapées, rejetées, isolées. Ce fameux réel qu'on nous rabâche à longueur de discours, c'était son quotidien. Les cas sociaux, les types ravagés, fous, les paumés, les éclopés de la vie, les rebuts de la société, il ne les croisait pas qu'au cinéma, dans une représentation trop souvent édulcorée, acceptable, fréquentable, romantique, émouvante ou misérabiliste. Il se les coltinait toute la journée. Il se confrontait à une altérité à la dérive, qu'il tentait d'accompagner, de soulager, d'aider à sa manière. Il n'en retirait aucune gloire.
Puisque je cherche à tout prix à les ranger dans une case, mon père, ses amis et tous ceux à qui ils m'ont l'air de ressembler, la meilleure chose serait peut-être de les présenter comme des petites mains. Les petites mains de la cause sociale. Non pas ceux qui énoncent les idées mais ceux qui les appliquent. Des personnes que l'on taxerait facilement d'hommes de l'ombre. Bien sûr, je ne pense pas que mon père se voyait lui-même comme un homme de l'ombre.

p. 63-64

A une description du Jura se superpose le portrait du père tout en nuances. Un père pas aussi fruste que le titre pourrait le faire croire : un homme de conviction, plutôt représentatif d'une génération d'après-guerre éprise de liberté, engagé auprès des rejetés de la société. Le fils ne cache pas que ce tiraillement entre indépendance et solidarité se répercute sur une vie affective contrariée. Ces similitudes entre l'homme et le pays donnent ce relief particulier au récit de Bailly qui se retrouve dans son Roman de Jim.

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