Un autre pays

Baldwin James. Un autre pays. Gallimard, 1964.

Le roman de Baldwin Another Country ramène constamment au thème de l'altérité, dont la ségrégation raciale n'est qu'une forme.

Elle avait toujours beaucoup attendu de Rufus, et la couleur de la peau avait pour elle une importance considérable. Elle dirait: « Tu n'aura!s jamais regardé cette fille, Rufus, si elle avait été Noire. Mais tu ramasserais n'importe quelle ordure blanche parce qu'elle est blanche. Que t'arrive-t-il ? Tu as honte d'être un Noir ? »

p. 47

Les personnages de ce texte, publié en 1962, font partie du monde de Baldwin, ancrés à Harlem ou à Greenwich Village, actifs dans le milieu culturel, ils essaient de
s'affranchir des carcans sociaux.
L'écrivain bouscule les conventions bourgeoises en évoquant les infidélités des protagonistes, mais choque en y mêlant des éléments raciaux. Les territoires sont bien délimités et être Blanc à Harlem est considéré comme aussi incongru que d'être Noir dans le Village. La transgression des codes exacerbe une violence destructrice.

Pendant des années, il s'était figuré qu'il appartenait à ces rues noires de la haute ville, précisément parce que l’histoire écrite dans la couleur de sa peau contestait son droit de s'y trouver. Il aimait que l'on conteste son droit se trouver ici ou là; à Harlem, sa condition d'étranger était visible, et par conséquent presque supportable. Il s'était dit que le danger qu'il y courait était plus tangible, plus franc, que dans les quartiers du centre et que, ayant choisi de courir ces dangers, il extirpait ainsi sa virilité des eaux tiédasses de la médiocrité pour lui faire subir l’épreuve du feu. Il vivait plus intensément à Harlem [...]

p. 182

Les questions d' Eric Jones, acteur, au moment de son retour à New York après quelques années passées en France, signalent un changement de perspective. Comment son amant verra-t-il l'Amérique et comment y sera-t-il accueilli ? La sexualité n'est pas aussi clairement affichée que la race. La problématique de l'altérité se décline donc en des termes plus vastes parce que le genre assigne à une position déterminée.
Le milieu dans lequel évoluent les personnages de Baldwin leur donne une certaine liberté. Pour accéder au bonheur, ils ne sont cependant pas exempts de la nécessité d'être en cohérence avec leur identité. C'est en décrivant cette quête de soi, en lien avec son environnement, que James Baldwin est le plus intéressant.

Le corps de l'homme ne lui avait pas paru mystérieux, il ne s'était jamais posé de questions, mais maintenant, c'était pour lui le plus impénétrable des mystères; cette incertitude lui fit songer à son propre corps — à ses possibilités, à son délabrement imminent et absolu — comme il ne l'avait encore jamais fait. Eric se blottit contre lui et sous lui, aussi assoiffé que le sable de la mer. Vivaldo se demanda ce qui se mouvait dans le corps d'Eric, ce qui le poussait, comme l'oiseau ou la feuille dans la tempête, contre le mur de sa chair; et il se demanda ce qui se mouvait dans son propre corps […]
Et même maintenant, en ce moment étincelant, pénible et indécis, il savait qu'il était condamné aux femmes. Quelle Impression cela faisait-il d'être un homme condamné aux hommes ? Il ne parvenait pas à l'imaginer et il éprouva une vive répulsion, vite réprimée, car elle menaçait son plaisir.

p. 510

En me persuadant que cette recherche de son identité n'est pas notre unique raison de vivre, j'accepte un certain manque de tension dans le roman. L'arrivée d'Yves vers son ami est, par exemple, bien observée mais très datée, contrairement aux interrogations intemporelles qu’aborde Baldwin. La dissonance entre le soin de l'écriture, recherchée, et des thématiques sensibles qui suscitent le débat nuit au plaisir de la lecture.

Baldwin James. Chroniques d'un enfant du pays.
Télérama – De Harlem au Village, dans les pas de l’écrivain James Baldwin
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