et tournera la roue

Demirtaş Selahattin, et tournera la roue : nouvelles , Paris, Points, E. Collas, 2019.

Après ses premières nouvelles de prison, L'aurore, Demirtaş poursuit sa carrière d'écrivain avec ce recueil à l'ironie plus mordante encore. Ces traits nous épargnent cependant de la tonalité désespérante de ces nouvelles.

La mort était devenue monnaie courante, si bien que les destructions et les massacres faisaient partie de la vie quotidienne. Au cours de ces événements, ce qui était encore pire que la mort, c'était le silence assourdissant du reste du pays, et celui du monde entier.

p. 151



Devran_(book)
Source : https://www.goodreads.com/book/show/44776406-devran, Fair use, Link

Les divers lieux évoqués dans ces textes sont un antidote à l'enfermement dans une prison éloignée des paysages familiers. L'auteur ne se réfère pas à des sites emblématiques mais à des endroits symboliques d'une vie quotidienne rude. Il procède par oppositions constantes : entre pouvoir et administrés, entre pulsion de vie et contraintes oppressantes. L'aurore exprimait le regret de ne pas avoir mené à terme des luttes, notamment celle du féminisme, et de ne pas avoir manifesté suffisamment sa reconnaissance. Ce recueil manifeste un pessimisme plus profond ; la mort y occupe une place prépondérante.

Une tristesse éternelle émane des vieilles gares. Les affres causées par les séparations, les adieux, les abandons, les allers sans perspective de retour se sont accumulées et comme sédimentées ici au fil des décennies, et cela fait bien longtemps que l'odeur de la sueur, du rail, du goudron et des larmes a imprégné ces murs décrépits. Au fronton de l’édifice, la grosse horloge semble indiquer perpétuellement la même heure. Le temps de la désolation, des ruptures.
Seul, je suis assis sur un banc, devant la façade de pierre au ton passé de la gare.

p. 109

En faisant allusion par deux fois à la noyade Demirtaş, révèle une forme d'épuisement. Un étiolement d'autant plus insupportable qu'il se fait dans l'indifférence, comme dans la nouvelle conclusive Ne pas perdre son humanité. Cette lutte contre la nonchalance est pourtant le ressort qui anime toujours l'auteur, leader politique qui ne se limite pas à la défense des Kurdes et qui mobilise encore malgré son emprisonnement.
Les acteurs de ses nouvelles sont persévérants et seul le destin peut rompre leur élan. La nouvelle qui a donné son titre au livre, et tournera la roue, proclame l'espoir que les persécuteurs d'aujourd'hui oseront se confronter à la vérité, même si le rude hiver d'Erzurum, qui masque la réalité de tous les Devran, est un obstacle à ce changement.

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