Disputons-nous

Sur les chemins de la haine

De grandes affiches bleues, un bleu plus céruléen que ceux de twitter ou facebook, qui répètent haine, haine, haine détonnent dans le paysage urbain qui tend au consensus. La campagne politique sur un sujet aussi clivant que la loi COVID-19 ne met-elle pas en avant le refus de la division de la société, le parti dominant surchargeant même ses placards d'un énigmatique « sans nous ».
L'événement, à l'enseigne des disputes, ces débats universitaires entre deux parties qui ont marqué la Réforme, se veut espace de réflexion. sur les sujets qui fâchent.
Par une série d'opinions parues dans les colonnes du Temps, quelques problématiques sont posées en lien notamment avec les religions, le complotisme, les crises qu'elles soient climatique ou politique.

Les intervenants et intervenantes, sélectionnées pour leur expertise insistent sur le rôle de la connaissance dans la résolution des conflits. Il ne s'agit pas uniquement de savoir, mais aussi de relations humaines et d'introspection. Le poids des mots a son importance, l'expression est mesurée et très explicite. Les textes fondateurs, notamment des religions, mettent en scène la haine, celle de Caïn et Abel, d'Esaü et Jacob ou de Remus et Romulus. Ils suggèrent des voies pour la contenir et la dépasser; on est plutôt alors dans le symbolique, la métaphore. Ce mode d'expression nécessite recul et réflexion, deux facultés qui s'accommodent mal de l'immédiateté.

Le modèle économique des médias repose sur la captation de notre attention. C'est en activant nos émotions qu'ils atteignent leur but. Les algorithmes vont donc favoriser les contenus à forte charge affective au détriment de messages plus intellectuels. Les investissements financiers dans les réseaux sociaux sont considérables, mais très insuffisants pour en contrôler les excès. Les machines peinent en particulier à traiter le second degré et les subtilités linguistiques; l'audience planétaire accroît encore cette fragilité. Un acte citoyen serait nécessaire, mais est-il seulement possible ?

L'intention de ces débats, leur visibilité médiatique reposant sur la crédibilité des membres de l'association et le choix des intervenants encouragent à l'optimisme. L'interposition du Gorille vert permet d'en douter. Un homme masqué en singe déambule dans la salle, d'abord clarinette à la main au terme de la première session; il paraît indiquer qu'il est temps de clore les premiers débats. Lorsqu'il revient, il veut se saisir de l'ouvrage que le conférencier a placé sur son pupitre, insiste. L'orateur l'en empêche et face à l'insistance de l'importun cherche à le démasquer, sans succès. La tension est palpable, le conférencier se raidit. Le «singe» s'assoit dans son dos, ce qui ne rassure pas l'intervenant – il se retourne pour voir ce qui se trame –, mais le musicien ne capte pas ce mal-être. Il vient même se poster devant le pupitre jusqu'à ce que le conférencier le fasse fuir. Sitôt la dernière phrase prononcée le spécialiste quitte précipitamment la salle, renonçant à participer à la table ronde conclusive. S'en suit une altercation hors-champ.
Cet incident est une métaphore des comportements sur les réseaux sociaux. Il illustre les conséquences des quiproquo qui peuvent naître d'interventions impromptues. Le Gorille vert mandaté pour animer les débats – on peut s'interroger sur la pertinence de ces intermèdes – agit probablement de bonne foi, mais sans subtilité. L'intervenant, spécialiste des mécanismes du complotisme, est certainement très sensible aux actions des trolls. Tout est donc en place pour un clash : manque d'information des organisateurs, défaut d'anticipation des conséquences, intervention qui ne tient pas compte de l'autre et impossibilité de véritable communication renforcée par le masque. L'espace de délibérations est piégé; il coupe le débat comme la confiscation des réseaux sociaux par les acrimonieuses et les acrimonieux tue les échanges.

La haine dans les religions

Des religions ont armé la haine, utilisé la violence et la peur, appelé à la radicalisation. Pourquoi Comment font‐elles pour refuser, fabriquer, gérer la haine ? Quelle place donnent‐elles au pardon et à la réparation ?
  • Quand la haine attise les bûchers: les procès en sorcellerie.
    Gwendoline Ortega, collaboratrice du projet Répression de la sorcellerie en Pays de Vaud (XVe–XVIIe siècles), relève que les victimes de ces procès sont des hommes et des femmes considérées comme s'étant mises en marge de la société. Une position qui de fait les mettait hors de la communauté chrétienne et les rapprochait des supposées puissances démoniaques. Toutefois, relativise-t-elle, les procès les plus sévères sont conduits par des inquisiteurs laïcs.
    Ces faits historiques incitent à s'interroger sur les pressions sociales entourant les pratiques religieuses ou politiques dans les régimes totalitaires.
  • L’imaginaire de la radicalisation : un cas tiré de l’évangélisme.
    Philippe Gonzalez, un des spécialistes francophones du protestantisme évangélique, illustre par un article récent de The Atlantic les dérives totalitaires à l'œuvre lorsque les régulations sont défaillantes. Les fidèles font pression sur des pasteurs et des théologiens pour qu'ils adoptent les positions sociales les plus radicales ; certains membres des églises évangéliques sont plus nourris par les réseaux sociaux que par la Bible.
  • Que faire de la radicalisation en Islam ?
    Faker Korchane philosophe qui avec l'imame Kahina Bahloul portent l’association La Mosquée Fatima, l'une dans la compréhension spirituelle de l'islam, l'autre dans sa composante rationnelle.
    Korchane observe une crise dès la fin du XIXe s. dont découle une conception fondamentaliste, fantasmée, d'un islam des origines. Ce retrait radical est notamment renforcé par l'instrumentalisation de certains groupes dans le contexte de la Guerre froide. Comme issue à cette crise, il ne voit qu'une amélioration des connaissances.
    Les processus de radicalisation visibles notamment aux Etats-Unis indiquent l'ambition de ce programme. En France, les polémiques à répétition, tendraient à considérer ce développement intellectuel comme illusoire car toute étude de l'Islam, dans sa dimension culturelle, est vue avec soupçon.
  • Mises en scène de la violence dans la Bible.
    Pasteure à Genève, Marie Cénec analyse notamment le conflit d'Esaü et de Jacob qui commence dans l'utérus maternel et ne s'estompe que lorsque Jacob au terme d'un combat avec lui-même s'ouvre à son jumeau.

La haine sur les réseaux sociaux et dans les médias

La haine permet de capter l’attention des « cerveaux disponibles » et fait vendre. Comment fonctionne la fabrique du mensonge et du complot? A quelles conditions l’intime peut‐il devenir un mouvement social ? Peut‐on empêcher les discours de haine?
  • Une promenade sur les réseaux sociaux.
    Ricardo Chavarriaga, chercheur spécialisé dans l'intelligence artificielle à la Haute école des sciences appliquées de Zurich ZHAW, relève l'ambiguïté des réseaux sociaux. S'ils ont été vus comme les vecteurs du mouvement des révolutions arabes, ils sont considérés aujourd'hui comme supports du complotisme. Plus que comme instruments de liberté, les technologies sont maintenant considérés comme amplificateurs de différences et générateurs de haine.
    Il s'agit de machines et d'algorithmes qui restent contrôlés par des femmes et, le plus souvent, des hommes. Les biais qui apparaissent avec l'utilisation de masse restent difficiles à corriger. Cependant, les développeurs apprennent des erreurs passées pour établir de nouveaux modèles, en établissant par exemple de meilleurs outils de tests.
  • Les beaux jours du complotisme.
    Sebastian Dieguez, chercheur au Laboratoire des Sciences Cognitives et Neurologiques de l’Université de Fribourg, souligne que le complotisme est un bon vecteur de haine. En précisant que la haine n'est pas une émotion mais une disposition durable à neutraliser une personne qui nous met en danger. C'est donc une construction intellectuelle qui demande de l'énergie, qui doit donc être nourrie.
    Le complotisme dépasse l'adhésion à des croyances, mais envisage un emboitement entre ces théories. Établir ces connexions et leur donner une finalité nécessite des dispositions conceptuelles. C'est un bon outil pour nourrir la haine.

    Les émotions contiennent en elles-mêmes la possibilité de leur propre mutation, l'amour en jalousie, le ressentiment en haine, l'inquiétude en angoisse, le désir de vengeance en désir de revanche. Avec le temps […] quelque chose a basculé, la mutation s'est opérée en moi, à peine perceptible dans son mouvement : je ne voulais plus seulement ressembler aux autres, mais je voulais aller plus loin qu'eux.

    Edouard Louis
    Changer : méthode, p. 112

  • Les réseaux sociaux sont-ils une zone de non-droit ?
    Catherine Frammery, cheffe d'édition numérique au «Temps», constate au quotidien la généralisation d'un ton polémique. Même un article feel good comme l'histoire de ce restaurant ajoulot déclenche des remarques haineuses.

    La liste des sujets qui fâchent s'allonge et, remarque-t-elle, les gens ordinaires renoncent à donner leur avis.
    Cette évolution questionne le lien entre les médias conventionnels et les médias sociaux. Pour le titre qui l'emploie, l'accès aux informations se fait très majoritairement par l'intermédiaire de plateformes numériques et non par consultation du site du média. Ce piège, lié à l'illusion de gratuité, est problématique. Les pratiques de fact-checking restent peu opérantes, comme en témoigne par exemple Samuel Laurent, et pourtant il est nécessaire de reprendre le contrôle.
    Le mythe d'une technologie sans frictions nous incite cependant à laisser filer les choses. Comme le Gorille vert, la haine interroge, elle devrait nous faire ralentir et prendre de la distance.

La menace de l'Autre


  • Dialogue autour de la notion de grand remplacement avec Etienne Piguet, Professeur en géographie des mobilités à Neuchâtel, et Lionel Pernet, Directeur du musée cantonal d'archéologie et d'histoire à Lausanne.
    L'historien évoque les différentes phases du peuplement du Canton de Vaud en précisant que la seule pour laquelle il y a remplacement [de race] est le passage du Neandertal à l'Homo Sapiens. Les phases de colonisation ultérieures ont amené une évolution de l'organisation de la société. Il y a donc davantage une continuité qu'un remplacement.
    Ces changements sont incontestables, comme le confirme le géographe. La grande différence avec l'époque actuelle est la rapidité du changement : à aucune époque la migration n'a été aussi importante. Elle est davantage due à l'appel de travailleurs étrangers qu'à une déferlante de populations désirant prendre le contrôle.
    Un nombre non négligeable de migrants viennent en Suisse pour des raisons humanitaires (échapper à des régimes autoritaires et/ou discriminatoires et à une pauvreté endémique). Les très grande majorité des individus qui quittent leurs pays le font pour trouver des libertés qui leur sont déniées et non pour imposer leur loi. Les conditions de l'accueil déterminent pour une part importante la capacité d'intégration des individus.
    Loin de minimiser l'importance d'un phénomène qui bouscule les indigènes, ces spécialistes considèrent que la question des migrations, liée à la globalisation des flux commerciaux, relève de la politique générale et non d'un domaine restreint.

Diverses opinions sur cette thématique
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