Un si beau diplôme !

Mukasonga Scholastique, Un si beau diplôme !  Folio, Gallimard, 2018.

Récit d'exils, Un si beau diplôme ! trace le parcours migratoire de Scholastique Mukasonga. « T U T S I » figurant sur leurs papiers d'identité, sa famille subit les conséquences d'une politique coloniale qui avait clivé la société sur des bases ethniques : exode intérieur dans les années 1960, fuite au Burundi en 1973, massacre en 1994.

La lente cuisson des aliments sur les braises du charbon de bois donnait le temps aux chants et aux danses. Sans perdre des yeux leurs marmites, les femmes s'installaient le plus confortablement qu'elles le pouvaient sur les cartons qui remplaçaient les nattes traditionnelles. C'était le moment attendu qui transportait les exilés au pays perdu : au fond de l'impasse, les cases miséreuses semblaient s'effacer pour laisser place, comme pour un décor de théâtre, aux collines chéries du Rwanda. Tel était le pouvoir du chant et de la danse qui, seuls, pouvaient ménager dans les tourments de l'exil une trêve d'insouciance.

p. 73

kibuye rwanda
Un si beau diplôme ! est un hommage au père qui avait insisté pour “sauver au moins un de ses enfants par l'école.” Alors que le rôle traditionnel des filles, surtout l'aînée, était d'assister sa mère dans l'économie domestique. L'école était un acte de soumission aux religieuses qui monopolisaient le système éducatif. Pour accéder au métier d'assistante sociale, elle est admise à l'Ecole sociale de Butare d'où, comme son frère André, elle peut échapper en 1973 vers le Burundi voisin.
Obtenir ce beau diplôme, tant convoité, ne suffit pas : il faut en tirer le meilleur avantage. En vivant dans les quartiers réservés aux exilés rwandais, trouver un emploi correspondant à ses qualifications est une gageure. En travaillant comme secrétaire, elle finit par se faire remarquer puis, par un heureux hasard, à pouvoir être engagée au sein d'un projet de l'UNICEF… et une autre aubaine lui permet de se marier à un coopérant français.

Je reste confuse. Je n'ai rien à lui répondre. Les vaches que j'ai célébrées sont celles de mon père, celles de ma nostalgie. Elles ne paradent plus que dans mes livres, pour mémoire. Je voudrais offrir à mon vieux berger une vache normande, il l'échangerait avec joie contre sa vache aux longues cornes. Mais après tout, s'il la garde, c'est peut-être lui aussi par nostalgie, dernier vestige d'un passé aboli. Je m'éloigne un peu tristement du vieil homme en lui souhaitant beaucoup de vaches, amashongore [«Puisses-tu avoir beaucoup de vaches (laitières)!»]

p. 205


Par cette union, l'autrice est soustraite aux vicissitudes de cette région d'Afrique ; après une nouvelle affectation à Djibouti, la famille rentre en France. Ces déplacements lui évitent de vivre les répercussions du génocide au Burundi telles que décrites par Gaël Faye dans son Petit Pays.
D'autres défis l'attendent cependant en lien avec idipolomi nziza. Comment se distinguer parmi les expatriés et exercer une profession dans la Corne de l'Afrique ? Comment faire valoir ses papiers et ses acquis en Europe ?

« […] attends, nous autres Djiboutiens, nous n'avons rien à voir avec les Africains ! Qu'on soit afar ou issa, nous ne sommes pas des Africains ! Regarde autour de toi est-ce que cela ressemble à l'Afrique ? As-tu déjà vu sur la carte où est placé Djibouti ? Attends, est-ce qu'on vit comme des Africains ? On est quand même un peu plus civilisés... »
J'éprouvai comme un sentiment de pitié et j'ai eu honte pour elle :
« Eh bien moi, je suis africaine, je me sens profondément africaine. Je viens du centre de l'Afrique, du cœur de l'Afrique, et je suis parfaitement en accord avec ce que je suis. Ni rien ni personne ne pourra me faire renier mon identité. Et je suis civilisée.»

p. 135

Après être entrée à l'école “sous la menace du bâton paternel”, Scholastique Mukasonga ne peut pas suivre l'assignation des administrations à accepter un déclassement professionnel : assistante sociale, elle serait ! quitte à refaire une formation française. C'est pendant ce temps d'études qu'est survenu, en 1994, le génocide; des jours qu'elle a traversé en somnambule.
Eprouvés par les violences antérieures, les exilés tutsis vivent cette frénésie de les écraser, de les écrabouiller, dans la sidération. Faye et Mukasonga font tous deux référence à la photographie d'un mariage dont tous les êtres aimés ont été anéantis pour exprimer l'ampleur de leur souffrance.
Alors que le nouveau diplôme est reconnaissance au père Cosmas, qui a résisté tant que faire se peut au déclassement social et physique, le vide laissé par la destruction du stand paternel au marché de Mayanga est la métaphore d'une indélébile cicatrice.

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