Zone d'intérêt

La Zone d’intérêt (The Zone of Interest), de Jonathan Glazer (Etats-Unis, Royaume-Uni, Pologne, 2023), avec Christian Friedel, Sandra Hüller, Medusa Knopf, Daniel Holzberg, Sascha Maaz

Bien que moins tristement célèbre que « la solution finale », l’expression effroyable « zone d’intérêt » - Interessengebiet en allemand – utilisée par les SS nazis pour décrire le périmètre de 40 kilomètres carrés entourant le camp de concentration d’Auschwitz en périphérie d’Oświęcim en Pologne – témoigne du même sentiment d’obscurcissement résolument précis et inquiétant. C’est un euphémisme utilisé avec une intention létale.

Note de production


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La musique de Mica Levi, de sons informes et dissonants, les longs plans unicolores, ponctuent le film en donnant le temps de réaliser le décalage entre l'harmonie familiale et l'abjection du projet nazi. Hedwig Höss, l'épouse de Rudolf le commandant d'Auschwitz, a la certitude de vivre le modèle de colonisation de l'Est, l'extension du Lebensraum : une belle villa, des domestiques, un somptueux jardin dans un cadre idyllique. Un aboutissement au pied du mur du sinistre camp dont la présence ne semble obsédante que pour les visiteurs – la mère d'Hedwig, notamment – et les spectateurs.
En planificateur scrupuleux Höss est promu à l'inspectorat des camps, à la consternation de son épouse qui devrait abandonner la villa de fonction qu'elle s'est appropriée. Son refus est une note dissonante dans la dynamique familiale. Le déni aussi de l'ampleur de l'entreprise d'extermination – Vernichtung –, suggérée par la réunion à Oranienburg des commandants de camps auxquels Höss s'adresse avec toute l'impénétrabilité qui le caractérise. Cette détermination est non exempte de quelques failles, comme le rituel obsessionnel de la fermeture des portes et de l'extinction nocturnes ou le vertige qui le saisit lors de la soirée donnée en honneur des dirigeants de camps. En humanisant Höss Glazer ne commet pas un geste malheureux, mais prouve plutôt qu'il n'est pas le simple exécutant que les criminels nazis ont prétendu être.
Huitante ans après les faits, subsistent des lieux de mémoire depuis lesquels il est aisé de juger les bourreaux et tous ceux qui les ont laisser agir, mais ne sommes nous pas aussi ceux qui ignorons les bruits sourds qui retentissent à nos portes et les fumées funestes qui s'élèvent sous nos yeux ?

Le cœur se trouve dans le foyer, même s’il avoisine un abattoir. La croyance des Höss qu’ils font partie de quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes résonne de façon similaire, et peut nous parler à tous. Avoir l’œil sur un trophée (quel qu’il soit) signifie ne pas regarder ailleurs, même si et surtout si les dommages collatéraux de nos aspirations se trouvent sous nos yeux.

Note de production


Internet Movie Database
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