Lilas noir

Kaiser-Mühlecker Reinhard. Lilas noir. Editions Verdier, 2023.

La malédiction apportée dans la famille Goldberger par la participation au régime national-socialiste de Ferdinand le vieux s'est-elle éteinte avec le XXe siècle ? Contrainte de quitter la Haute-Autriche pour Rosental, elle avait lutté pour s'y intégrer bien que la floraison du lilas rouge ravivait la mélancolie des origines.

Très rares avaient été dans sa vie les occurrences où le monde extérieur ne lui était pas apparu, ne fût-ce que confusément, sous la forme d'une contrainte pesant sur lui. Ce jour, peut-être, où il avait découvert à l'âge de seize ans le pays de son père, la ferme Goldberger, à Rosental, et où il avait décidé de s'y établir à demeure.

p. 122

Après avoir renoncé – pour une génération – à la transmission familiale par le nom, c'est un jeune Ferdinand promis à une belle carrière au Ministère de l'Agriculture et de l' Environnement qui porte le patronyme. Ecarté de la gestion du domaine par son oncle, il a trouvé dans l'agronomie un champ d'études à même de le relier à son passé terrien. Une manière pour l'auteur Reinhard Kaiser Mühlecker, agronome lui-même, d'évoquer les défis sociaux et économiques de l'agriculture contemporaine.

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La prédominance de cycles – si important pour le développement du végétal – parcourt encore ce deuxième roman consacré aux Goldberger. Les hasards de la vie moderne, globale et urbaine, interfèrent avec cette régularité du vivant pour créer l'épaisseur de notre existence humaine.

Il n'avait cependant pas l'intention de quitter pour l'instant la ville ou le pays. C'était plutôt comme si l'horizon s'élargissait : en venant ici, il s'était retiré du monde, avec la sensation de pénétrer au sein d'un espace inconnu, et dont il aurait été incapable de dire, non pas à quel point il était vaste, mais à quel point il était réduit; la seule chose qu'il sût, c'était que cet espace était clos de toutes parts; or voilà que quelqu'un venait de le pourvoir d'issues : les clés étaient dans les serrures, et il n'appartenait qu'à lui, Ferdinand, d'ouvrir toutes les portes, ou simplement l'une d'entre elles.

p. 166

L’exploitation du domaine de Rosental, avec ses expansions et ses reflux, est comme une respiration dont le rythme se calque sur les émotions de Ferdinand. Dans une langue enrichie par une fine observation de l'environnement, l'auteur aborde les nombreuses problématiques du monde paysan. L'intégration dans un modèle où prévaut le profit économique à court terme est antinomique de la pérennité des exploitations et de leur rôle dans la préservation de la biodiversité. Ces enjeux globaux exacerbent eux-mêmes la concurrence entre exploitants et influencent les relations au sein des domaines – notamment sur le rôle qui y joue les femmes.
Le destin particulier de Ferdinand Goldberger, les divers drames qui ont amené la famille au pied du Magdalenaberg agit comme une métaphore de la politique agricole. Ses tentatives pour rebondir alors que ses espoirs sont déçus – l’appui sur les bases rationnelles de mystérieux essais agronomiques, le renoncement à la production animale et le redimensionnement du domaine – ressemblent aux directives faites aux paysans de s’adapter aux circonstances, sans que celles-ci ne soient clairement identifiées.

Il n'y avait pas de lieu de repli. Puis vient le moment où l'on cesse de se creuser la tête avec ça, parce qu'il est plus douloureux de réfléchir que de supporter la réalité telle qu'elle est. Après tout, on a fini par s'y habituer.

p. 200

Dans ce roman Reinhard Kaiser-Mühlecker poursuit la chronique familiale en la présentant davantage depuis un point de vue citadin, la prégnance des réalités économiques surpasse l’héritage historique. Septante ans après l’arrivée des Goldberger à Rosental, son dernier représenta Ferdinand ne se fait plus remarquer. Les bourgeons des lilas n’éclosent plus, son intégration paraît davantage une dissolution.

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Isaure Hiace pour Affaire à suivre – France Culture