Les sacrifices

Illustration : Francisco de Zurbarán – Agnus Dei (c. 1635–1640), Museo del Prado wikimedia

Lasserre Guy. Les sacrifices dans l’Ancien Testament. Labor et fides, 2022.

Dans le lexique biblique malaisant on trouve les termes péché et sacrifice, deux mots auxquels Labor et Fides a édité un essai en 2022. Le livre de Guy Lasserre étudie dans le détail l'évolution des rituels de sacrifice dans l'Ancien Testament pour en montrer la fonction et pour interroger ce qu'il en reste dans les communautés chrétiennes contemporaines.

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L'analyse de texte, très spécialisée, rappelle que la Bible que nous lisons aujourd'hui est un écrit qui a longtemps été retravaillé – indépendamment de la variété des traductions – pour rester compréhensible des Israélites dans leur quotidien. Guy Lasserre, se basant notamment sur la continuité stylistique, montre ainsi diverses adjonctions faites aux prescriptions initiales concernant les rituels sacrificiels. Elles s'ajoutent aux versions successives de cérémonies qui évoluent avec les conditions de vie du peuple et son organisation sociale ; ces changements tendent à légitimer le pouvoir religieux.
La pratique du sacrifice n'est pas une spécificité des tribus d'Israël mais, codifiée dans les textes bibliques, elle est facteur de cohésion en permettant de faire communauté malgré la diversité sociale : l'offrande précède souvent un repas communautaire.

En l'absence de roi israélite, les prêtres deviennent l'autorité religieuse du peuple, assurant la continuité de l'alliance qui fonde son identité. Les lois définissent le rôle des prêtres et assurent leurs revenus en indiquant les parts des sacrifices et offrandes qui leur reviennent. Leur mise par écrit fixe cette situation et, dans une période où les écrits deviennent plus importants, renforce leur pouvoir. L'origine divine, la présentation écrite d'une vision ordonnée et le rôle des prêtres en l'absence de rois forment un système cohérent pour faire accepter une forme renouvelée de la vie avec le SEIGNEUR. Dans ce projet, les sacrifices sont essentiels, car ils assurent la présence de Dieu au milieu de son peuple et la relation avec lui.

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L'auteur souligne également la différence majeure entre ces écrits et notre époque que constitue la rupture avec les gestes de l'agriculture et de l'élevage. Dans les temps bibliques, les rituels étaient une manière de réguler la consommation de viande et d'en permettre l'accès aux plus défavorisés. Avec l'avènement du christianisme, la communauté est raffermie par la cène, un repas plus métaphorique que festif. L'eucharistie prend davantage, pour chaque participant·e, un sens personnel, même si une diversité existait déjà lors les rituels sacrificiels.

Le repas est un acte culturel dont l'utilité dépasse la seule fonction alimentaire. Il met en relation avec les aliments, produits de la terre et du travail humain pour les végétaux ou produits de l'élevage des animaux et de leur fécondité. Il met aussi en rapport avec celles et ceux qui ont cultivé, élevé, préparé, transformé, commercialisé, cuisiné, comme avec les autres convives. Il nourrit le corps et réjouit les sens. Il alimente aussi les relations. Il est un lieu où se vivent et se construisent relations et identité.

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La continuité entre les repas communautaires, qui suivaient les holocaustes, et la cène induit un certain malentendu au sujet de la mort de Jésus qui aurait été sacrifié. Guy Lasserre montre que cette interprétation ne tient pas au regard des pratiques sacrificielles et cela malgré l'identification « Jésus, Agneau de Dieu ». En cela l'image qui illustre la couverture entretient la confusion.
En concluant par des questions concrètes sur le lien communautaire des chrétiens d'aujourd'hui et sur l'engagement des églises envers la Création, l'auteur cherche à inscrire les rituels religieux dans notre époque comme les auteurs des livres bibliques les ont adaptés au vécu du peuple de Dieu. Ces considérations méritent développement, en particulier dans un monde instable dans lequel chaque évolution, souvent largement acceptée socialement, suscite une forte réaction et mobilise des arguments identitaires qui ne correspondent plus à une pratique.

Les mythes du self-made-man et de l'autosuffisance, « je ne dois rien à personne », font oublier la place des autres et de Dieu.
Le Deutéronome rappelle que le produit du travail est œuvre conjointe de Dieu et des humains. Je ne serai jamais quitte des dons de Dieu. Sacrifices et offrandes en sont un signe concret et visible et ils se partagent avec toutes celles et ceux qui ont contribué à la vie économique. Comment signifier aujourd'hui cette reconnaissance ?

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Le site de l'éditeur
Marie Destraz pour Réformés
Interview pour Regards protestants