Le pèlerin désorienté
A Sense of Direction. Pilgrimage for the Restless and the Hopeful
Déconcertant, le titre français de ce récit de voyage : l'auteur relate son pèlerinage à Compostelle, mais jamais il ne semble égaré à Kyoto ! Sa difficulté de résister à la vitalité de Berlin l'incite à chercher une direction à sa vie de jeune adulte. Après une expérience du Chemin de Saint-Jacques, il poursuivra par le pèlerinage des 88 Temples à Shikoku et complètera son expérience par le rassemblement juif d'Ouman en Ukraine.
Donner un sens à sa vie, c'est conjuguer le confort de l'obéissance à la dignité de l'indépendance. Ne plus être ni servile ni inquiet parce qu'on ne sait pas ce qu'on veut ni combien on est prêt à payer pour l'obtenir. La question est donc la suivante : comment trouver une structure qui nous permette de comprendre ce que nous voulons, sans pour autant nous forcer à suivre les fluctuations de nos désirs éternellement conflictuels ?
p. 57
Accompagné de Tom, il s'élance sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. À deux, les difficultés du trajet sont plus faciles à supporter et la communauté des pèlerins donne chaque jour un nouvel élan. Au terme de cette expérience profane l'auteur envisage de vivre d'autres pèlerinages pour en approfondir l'essence.
Ayant découvert l'existence du chemin des 88 Temples lors de son séjour espagnol, il se dirige alors vers le Japon où il entreprend de suivre le pèlerinage de Shikoku. Lewis-Kraus porte une attention particulière à l'itinéraire qu'il est déterminé à parcourir à pieds, reléguant l'aspect spirituel, cher aux Japonais, au second plan. La progression cadre ses pensées et finit par devenir une fin alors que ce pèlerinage circulaire n'en a pas.
T14 : Jōraku-ji
Dans la Préfecture du Kagawa, correspondant aux étapes du nirvāna, la question du temps accordé et du retour à la vie concrète est une préoccupation partagée par tous les henro, qu'ils aient accompli le pèlerinage d'une traite – le privilège des retraités – ou, particulièrement pour les Japonais, sur son (rare) temps libre.
Le sociologue Erving Goffman, qui a considérablement influencé Turner, considère que nos vies sont une succession de rôles – d'abord père, puis rabbin, puis homosexuel – que nous répétons et mettons en scène en fonction de différentes règles et divers critères. Pour Turner, le pèlerinage est peut-être la seule occasion dans nos sociétés actuelles de s'arracher à un environnement familier marqué par des divisions tribales. Le pèlerin peut se défaire de tous ses rôles et se contenter d'être une personne, sans responsabilités, ni attentes, ni contraintes autres que celle d'avancer vers un but lointain.
p. 142-143
Le chroniqueur du New Yorker poursuit son expérimentation au rassemblement d'Ouman en Ukraine où les Juifs hassidiques se recueillent par milliers sur la tombe de Nahman de Bratslav et site d'un massacre de Juifs et de Polonais en 1768. Cette autre forme de pèlerinage permet à Lewis-Kraus et à son frère de reprendre contact avec leur père.
Visiblement, [mon grand-père] est arrivé à un stade de sa vie où tout devient logique : il a relié les points entre eux et formé une ligne qui conduit de l'homme qu'il était à celui qu'il est devenu. Il a conscience d'avoir blessé des gens en chemin, comme tout le monde, alors il tente de réparer ce qui peut l'être. Ce n'est pas parce que nous avons des regrets qu'ils doivent nous ronger.
p. 200-201
L'auteur met beaucoup d'énergie à se défendre d'une démarche spirituelle tout en relevant que s'engager dans un pèlerinage répond à « une recherche d'autorité déguisée en désir. »
Interview de l'auteur dans Neojaponisme : Two Views of the Shikoku Henro Pilgrimage
Reportage de Sébastien Gobert pour France Inter à Ouman
Le pèlerinage d'Ouman, un enjeu de la Guerre entre l'Ukraine et la Russie, The Times of Israel
Site de l'auteur