Mère

Mouawad Wajdi, Mère = Um. Actes Sud, 2022.


Il ne peut pas travailler ils nous donnent juste le droit d'envoyer les enfants dans les écoles / C'est pour ça on ne peut pas s'éterniser quoi qu'il arrive il faudra qu'on rentre au Liban / Espérons ma sœur / On court après le retour / Comme une épice sur laquelle on n'arrive pas à mettre la main et sans laquelle tout devient fade

p. 35


Le texte de Wajdi Mouawad résonne particulièrement alors que la Guerre entre Israël et le Hamas se poursuit à Gaza. Il met en scène le conflit qui déchire le Liban pendant son enfance et que sa famille vit éclatée entre Beyrouth, Paris et Houston. Le nom des acteurs a changé, mais ils représentent les mêmes fronts. Au massacre de Sabra et Chatila (septembre 1982) répond le déferlement de violence du Hamas d'octobre 2023. L'illusion d'éradiquer le mal par la force est encore présente.
La pièce de Mouawad oppose surtout une lecture qui se voudrait factuelle (le journal télévisé de Christine Ockrent) et le trop-plein d'émotions que la guerre provoque dans la population plus directement concernée. En convoquant les saveurs levantines – le livre détaille et illustre les recettes familiales –, en décrivant un fond sonore de chansons radiodiffusées, l'auteur insiste sur le décalage vécu au plus profond par les réfugiés et le malentendu irréductible que cela crée avec la société d'accueil. Un malaise qui se répercute d'une génération sur l'autre.
Une transmission que Wajdi ne considère pas que sous un angle négatif. Bien que la douleur de l'exil ait empêché la mère de se montrer toujours adéquate, l'auteur précise que c'est la complexité de ce vécu qui a été le carburant de son inspiration : « c'est ça le paradoxe de merde. [T]on bonheur futur repose sur [t]on malheur de maintenant. (p. 52) »
En se focalisant sur ces éléments autobiographiques, Mouawad refuse un déterminisme aveugle qui déciderait du bien et du mal. Le format original, qui rappelle le leporello, et les illustrations de l'auteur invite à ne pas s'en tenir au calibrage des idées.

MÈRE. On a passé cinq années à se dire “Dans trois mois on s'en va”. Finalement on part, mais pas là où on croyait. Ils ne savent pas leur bonheur, ceux qui passent toute leur vie dans la même maison et sur la même terre.
Que Dieu protège ceux qui sont sur la route.

p. 79



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