Les nuits de la peste

Pamuk Orhan, Les nuits de la peste. Gallimard, 2022.

nuits peste turc

En 1901, le droit ottoman, occidentalisé sous la pression des grandes puissances, imposait que toutes les peines capitales prononcées dans l'Empire le fussent par la Haute Cour du tribunal d'Istanbul. Les exceptions, cependant, n'étaient pas rares : guerre, révoltes, communications coupées, manque de temps... Dans les provinces de l'Empire où l'armée était en permanence sur le pied de guerre, et où pendre des hommes était le seul moyen de mater les révoltes incessantes des minorités séparatistes, la pendaison pour l'exemple, sur ordre des gouverneurs et sans en référer à Istanbul, était presque une loi. Le tribunal d'Istanbul était ensuite obligé, pour ne pas donner l'impression d'un désaccord au sein même de l'État, de confirmer ces condamnations prononcées unilatéralement par les gouverneurs et exécutées à l'abri des regards, en pleine nuit.

p. 215

Le roman de Pamuk évoque, sous forme de chronique, le déclin de l'empire ottoman. La peste qui sévit sur l'île méditerranéenne de Mingher, symbole de la diversité culturelle de l'État, attise les tensions et accélère une dissolution sous l'influence des puissances coloniales européennes.

Personne ne peut accepter que la belle vie qu'il a toujours connue prenne fin du jour au lendemain, et encore moins l'idée de mourir. Alors on s'acharne à démentir les faits qui ruinent votre tranquillité, on nie les morts, on en veut aux mourants. Mais quand on se retrouve face à face avec le célèbre Inspecteur général de la santé et son assistant, on comprend tout à coup qu'Istanbul prend l'affaire au sérieux. Seulement, ici cela n'a pas eu lieu.

p. 137


Sultan_Gazi_Abdül_Hamid_II_-_السلطان_الغازي_عبد_الحميد_الثاني

Peste & Choléra
Deville Patrick. Peste & choléra . Seuil, 2012.

Dans un beau roman historique, Deville retrace la vie d'Alexandre Yersin, chercheur qui identifie en 1894 à Hong Kong le bacille de la peste. La découverte de ce germe ne suffit pas à traiter la maladie, comme le mentionne Pamuk, mais donne des pistes pour en limiter la contagion.

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Eléonore Sulser pour Le Temps


Sultan Abdülhamid II (1842–1918)

Édité dans sa version turque en 2021, la peste de Mingher fait inévitablement penser à l'épidémie de COVID. Bien que les symptômes de la maladie soient connus, les moyens de la contenir suscitent encore des controverses. L'opposition entre partisans de la modernisation et conservateurs, soutenus par les religieux, transforme les dissensions en luttes idéologiques irrationnelles.
À la manière de Kemal et son Mèmed le Mince, l'écriture foisonnante de Pamuk révèle, par de multiples allusions, l'histoire et la politique turque.

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Marco Dogliotti pour Le Temps
France Culture : le virus de la fiction
Orhan Pamuk, fou d'histoire