Une chambre en exil

Souleimane Omar Youssef. Une chambre en exil. Flammarion, 2022.

Se plaindre fait partie de la culture française. Un étranger venu du Moyen-Orient remarque cette façon de réagir. Pour lui, ce penchant pour le malheur n'a pas de sens, simplement parce qu'il a connu une autre vie, celle d'un pays sans Sécurité sociale, sans liberté d'expression, sans démocratie. En effet, pour savoir à quel point on vit bien en France, il suffit de vivre ailleurs.

p. 57-58

Arrivé en France il y a dix ans, âgé alors de vingt-cinq ans, Omar Youssef Souleimane a acquis une belle maîtrise d'une langue qu'il n'a pas dans sa poche. La migration est un déchirement et le parcours en vue d'acquérir son indépendance est semé d'embûches. Des obstacles qui renvoient l'étranger à son statut et qui l'engluent dans les marges de la société.

Suis-je en état de comprendre leurs vies normales de gens normaux ?
Je suis comme eux, on parle la même langue, on respire le même air, et je suis prêt à lutter pour l'avenir de ce pays. Rien ne me sépare de ces citoyens nés en France, à part une épine dans le cœur, qui s'appelle : réfugié.

p. 110


Il est question ici de la location d'un chez-soi comme pont vers l'indépendance. Une autonomie au coeur des enjeux politiques de la migration, instrumentalisés par divers groupes d'intérêts.

Quand les politiciens de la mairie vont à la pêche aux voix des musulmans, et que l'imam recherche l'aide des politiciens, ce n'est pas une dictature, mais une démocratie qui va mal.
[…]
C'est une autre France, où Hassan el-Banna remplace André Malraux, où un islamologue peut être considéré comme quelqu'un de plus modéré qu'un philosophe et où le burkini fait plus parler que l'art. Le racisme et la religion prennent la place de la Renaissance; cette France inattendue étonne au plus haut point quelqu'un comme moi désireux de découvrir le pays de Paul Éluard. Où la culture, les librairies, la poésie sont au service de la vie quotidienne.

p. 90-91

Souleimane vitupère les élus qui exploitent le désarroi des migrants en bridant leur intégration. Pour un homme qui aspire à une vraie émancipation après avoir été formaté dans les écoles de Bashar El-Assad, ce déni de la liberté est un non-sens. Dans son langage direct et sans complaisance, l'auteur dénonce les petits arrangements qui lient une classe politique et des imams qui cherchent à maintenir dans leurs rets des êtres en souffrance. La situation décrite par Souleimane peut paraître caricaturale, elle déplace cependant la focale des polémiques sur l'islamo-gauchisme. Le plus problématique dans la migration, c'est la marginalisation des populations récemment arrivées qui empêche leur mobilité sociale
L'auteur décrit avec pertinence la tension entre un désir de rompre avec les chaînes du passé, qui rappellent celles dénoncées par Riad Sattouf dans son Arabe du futur, et une certaine sécurité donnée par des rites connus. Pour le narrateur, qui est venu en France y vivre la poésie de Paul Éluard, cet enfermement est incongru. Il éprouve néanmoins de la difficulté à quitter un quartier où il s'est constitué quelques repères pour une chambre dans un environnement plus central.
Comme le rappelle Michel Agier, le lieu de vie est très symbolique. Les migrants arrivent souvent par les marges. L'anthropologue n'y voit pas de difficultés pour autant que ce ne soit pas un terminus.
Le roman d'Omar Youssef Souleimane dénonce le rôle négatif d'imams davantage intéressés par la mainmise qu'elle leur permet que par l'édification des fidèles. Il serait pourtant absurde de le récupérer dans un but islamophobe : l'auteur relève en effet que cette emprise n'est possible que grâce à une mauvaise analyse de l'autorité et à la captation de suffrages, sans scrupules.

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Portrait de l'auteur par Philippe Chassepot pour Le Temps