Les humiliations de l'exil

Rosenbaum, F. (2010). Les humiliations de l'exil: les pathologies de la honte chez les enfants migrants. Paris: Fabert.

Avec conviction, Francine Rosenbaum témoigne de sa pratique de logopédiste et d’ethnoclincienne à Neuchâtel. Elle valorise son expérience familiale d’appartenances multiples, racines juives en Lituanie et à Vienne, ascendance vaudoise et protestante, scolarisation au Tessin et études en Suisse alémanique. De cette histoire ponctuée de blessures, elle a pu se forger une identité qui lui permet de créer un lien avec les familles de ses consultants. Ce parcours lui a surtout permis d’avoir une empathie particulière pour les enfants de migrants rencontrés dans sa pratique.
C’est son vécu de thérapeute, illustré de nombreuses situations cliniques, qui est l’objet de ce livre.

Je crois que le terme d’errances indique bien mon parcours : je suis à la fois dans le cheminement, la recherche, l’égarement, l’erreur, le cauchemar et la « dromomanie », au sens de course pour bien faire, en portant trop, et qui me colle la bosse du stress sur le dos.

Chaque situation rapportée fait écho aux histoires de nos élèves, à la précarité de leur cadre de vie et aux ressources que leurs parents s’évertuent à développer pour les protéger. L’auteure insiste sur la nécessité de travailler avec les familles pour prévenir des problèmes éducatifs nécessitant des mesures coercitives. La restitution du rôle parental malgré les désillusions et les humiliations qui ponctuent souvent le parcours migratoire paraît essentiel à Francine Rosenbaum. Les premiers gestes que peuvent accomplir les parents sont de maintenir la communication dans la langue maternelle et dire aux enfants les liens qui existent avec leur famille élargie. Elle utilise la métaphore de l’arbre pour inviter les parents à soigner les racines, la famille, la langue et la culture d’origine, pour que l’enfant puisse vivre dans le pays d’accueil.
La pratique du génogramme « aide à réinscrire leur vécu dans une temporalité qui reconnaît la date de la migration comme la fracture primordiale à partir de laquelle l’histoire de la famille s’organise : le passé perdu et rigidifié, le présent transitoire et le futur retour mythique. » Ce support permet de faciliter la communication tant dans la cellule familiale que dans l’espace thérapeutique. Cette restitution de la communication facilite l’intégration dans la culture locale sans rompre les attaches avec le pays d’origine où sont les vivants et les morts qui participent à l’identité.

Le processus thérapeutique consiste à permettre à l’enfant et à sa famille de se nourrir de leur histoire passée et d’utiliser les appartenances diverses pour réamorcer les interactions et les apprentissages.

Pas de baguette magique toutefois. Le processus thérapeutique qui permet la restitution des capacités de communication et d’envisager des apprentissages est toujours long et caractérisé par des phases de progrès et de régression. Les vignettes cliniques qui ponctuent le livre montrent cependant l’importance primordiale des parents quelles que soient leurs capacités psychiques et cognitives. Dans sa pratique, l’auteure a constaté que l’épuisement des enseignants est souvent lié au manque de reconnaissance des compétences parentales et au déficit de communication entre les familles et l’institution scolaire. Ce manque de reconnaissance réciproque peut être atténué par le recours à un interprète-médiateur culturel capable de mettre en contexte les mots échangés ou comme le dit Rosenbaum de « mettre en lumière les désaccords ».
Cet ouvrage donne un aperçu de la pratique des logopédistes et des psychologues scolaires et permet de prendre conscience des enjeux des interactions qui lient famille, enseignants et professionnels dans le développement de l’enfant et son intégration dans la société. La variété des situations décrites faisant référence à diverses migrations élargit les connaissances sur les spécificités culturelles. Bien que ce livre soit le compte-rendu d’une recherche, sa lecture est accessible et captivante et son actualité bien réelle dans une société pluriculturelle.

Interview dans Le Temps