Quelle place pour l’allophonie et la diversité culturelle à l’école ?

Gieruc Gabriella. (2007). Lausanne : URSP

Cet ouvrage rapporte le suivi d’un projet mené dans la banlieue lausannoise en 2004-2005 dans une classe de cycle de transition (7H). Il situe cette expérience dans un contexte théorique et décrit le processus de mise en œuvre. Il n’évalue pas les résultats sur le parcours scolaire des élèves (qui se mesurent sur le moyen terme) mais analyse le regard des adultes et des enfants.
Les élèves nés à l’étranger (et parmi eux les primo-arrivants) qui entrent à l’école sont clairement identifiés comme allophones. Pour ceux de deuxième ou de troisième génération, « il est difficile de distinguer les lacunes dues à l’allophonie de celles dues au développement encore partiel des compétences langagières ». La question culturelle et les tensions induites par cette double appartenance doivent être également prises en compte, mais dépassent largement le cadre scolaire.
Le statut de la langue d’origine est un facteur important pour la maîtrise de la langue scolaire. On constate chez certaines familles de migrants une instabilité de la langue (par exemple, prononciation changeante) qui empêche l’enfant de développer des compétences langagières de prélecture. L’école enfantine devrait permettre aux enfants de renforcer leurs acquisitions lexicales et leur compréhension.
Pour permettre d’atteindre un développement facile de la langue d’accueil, il est nécessaire d’avoir une maîtrise suffisante de la langue d’origine. Cummins (USA) estime qu’en un à deux ans, il est possible d’atteindre un niveau de langue comparable à celle d’un autochtone pour la vie de tous les jours. Mais pour les utilisations plus exigeantes de la langue, c’est 5 à 7 ans qui sont nécessaires.
Le mode de prise en charge de l’enfant (intégration ou classe d’accueil) n’est pas primordial, mais la didactique joue un rôle important car on n’apprend pas de la même manière la première ou la seconde langue. Dans ce contexte, les moyens EOLE ont certainement un rôle à jouer pour les enseignants et les élèves monolingues. Souplesse et inventivité sont les garants de réussite : des maîtres formés au français langue seconde (FLS) sont les piliers de l’enseignement aux élèves allophones, mais chaque enseignant contribue à développer leurs compétences. Les enseignants de langue et culture d’origine (ELCO) pourraient aussi avoir une place dans ce cadre.
D’après un grand nombre d’études, les élèves bilingues ont de meilleurs résultats que les autres et pourtant dans la situation lausannoise ces élèves réussissent plutôt moins bien. La langue d’origine est surtout utilisée pour la réception orale et dans une moindre mesure pour la production orale. Dans le cas de l’albanais, l’écrit est très peu utilisé en raison du décalage entre le
tosque et le guègue que nous pourrions caricaturer en « albanais des villes et albanais des champs ».
Le choix de la 5e pour établir ce projet s’est montré peu opportun. La structure secondaire en périodes bien déterminées est le premier écueil. Partant du postulat qu’une meilleure connaissance de la langue d’origine améliorerait les compétences en français, la période donnée en langue d’origine a été prise sur cette matière. Une collaboration a été nécessaire entre l’enseignant de français et ceux de langue et culture d’origine (ELCO) pour établir des objectifs communs. Cette coordination renforcée a été un point positif de l’expérience, mais les élèves et leurs parents ont eu le sentiment d’une discrimination. Le module le plus facilement mis en place a concerné les séquences EOLE donnée avec l’appui des maîtres ELCO. Cette seule intervention ne suffit cependant pas à accueillir les élèves allophones en classe…
Les représentations de la langue d’origine sont plus favorables chez les enfants qui pensent qu’elle les aide à mieux acquérir le français que chez leurs parents pour qui ce dernier est la langue de la réussite scolaire. Cette divergence se retrouve auprès des enseignants qui sont peu enclins à donner une place aux ELCO dans la grille horaire ou même comme partenaires de la formation, malgré les recommandations officielles.
La perception des différences culturelles marque un clivage entre les parents et les enseignants. Les parents (allophones) pensent que ce n’est pas le rôle de l’école de transmettre prioritairement la culture suisse, de même ils estiment majoritairement qu’en cas de conflit avec les règles du cadre scolaire, la diversité culturelle n’est pas une difficulté supplémentaire. Les enseignants n’attribuent pas à la différence de culture la difficulté à respecter les règles, mais constatent que c’est un élément à prendre en compte. Ils se différencient également des parents en privilégiant des règles communes à l’école et à la maison. Ces derniers montrent ainsi leur ambivalence : le statut du français, comme base de la réussite scolaire, est très important pour eux, alors qu’ils sont plus réticents à s’éloigner de leur culture. Cette attitude est peut-être due à ce que l’auteure nomme l’angélisme des enseignants qui pensent pouvoir gérer les difficultés engendrées par le multiculturalisme avec leurs propres moyens. Un recours plus fréquent au traducteur, aux ELCO, pourrait permettre aux parents d’avoir une image plus claire du système scolaire et d’avoir une attitude mieux coordonnée à celle de l’école.
Même si la structure de la publication n’en facilite pas la lecture, cette étude suscite des questions pertinentes pour l’élaboration d’un projet visant à améliorer les performances des élèves allophones.