L'homme musulman

Necla KELEK Plaidoyer pour la la libération de l'homme musulman. 2007. Paris. Jacqueline Chambon

L'auteure d'origine turque attribue le nombre élevé de jeunes hommes musulmans dans les prisons allemandes au modèle social véhiculé par leur famille plus qu'à la discrimination sociale ou aux carences éducatives. Son essai se rapporte aux migrations kurdes et turques en Allemagne ; elle pourrait aussi concerner d'autres populations qui reproduisent leur système de valeur dans le pays d'accueil.
Le chemin de la migration est difficile ; Necla Kelek estime pourtant que la migration est une chance pour se libérer des traditions archaïques qui constituent un obstacle à une vie libre. Pourtant beaucoup d'émigrés aimeraient pouvoir vivre leurs idéaux sans être dérangés.
Couverture pour le Plaidoyer paôur la libération de l'homme musulman

Ce cheminement lié à un détachement des valeurs de la culture d'origine et à une intégration de celles des sociétés occidentales est le fondement de l'histoire personnelle du migrant. Un parcours qui s'inscrit dans l'histoire et la politique des pays d'origine et d'accueil et qui en subit les influences.
La négation de cette dimension personnelle de la migration, liée à la culture musulmane, est selon Necla Kelek la cause principale de la criminalité. Comment, en effet, prendre conscience des règles en vigueur en Allemagne, lorsque le cœur du père –émigrant– est resté dans son village, que sa fierté est de transmettre le modèle éducatif à l'identique.
Lorsque ce modèle est en totale opposition avec celui du pays d'accueil, le conflit est programmé !
La notion de responsabilité individuelle est un important facteur de divergences. Certaines sociétés admettent que l'homme ne soit pas capable de contrôler totalement ses pulsions et qu'il commette des «accidents». Dans ces circonstances, la famille le protégera pour éviter la vengeance des lésés, sans se préoccuper de sentiments de culpabilité. Les dépositaires de la responsabilité familiale sont les aînés même quand ils vivent encore dans le pays d'origine. Lorsque la famille vit dans le voisinage, la transmission du pouvoir patriarcal peut se passer en douceur, le fils aîné prenant son rôle de chef sous le regard bienveillant de son propre père. La distance due à la migration empêche cette période de transition, voire perturbe les rôles attendus dans la fratrie. Elle met aussi les immigrés dans des situations impossibles lorsqu'ils doivent répondre aux droits et devoirs du pays d'accueil et aux valeurs de leur famille. La fidélité familiale l'emporte souvent.
Cet écart entre deux systèmes de valeurs, la famille de Necla Kelek l'a vécu : sa famille a d'abord émigré d'Anatolie à Istanbul, puis en Allemagne. Les drames familiaux qui ont accompagné les deux phases de cette migration empêchent l'auteure de se couler dans le rôle prédéterminé.
Elle ne perpétuera pas le modèle féminin qui veut que
"[la fille] fasse bonne figure auprès des autres femmes, qu'elle se montre obéissante, adroite et polie". La mère éprouve de la fierté pour l'habileté de sa fille à accomplir les tâches ménagères. Le rôle de l'école n'est parfois pas plus clair en ce qui concerne les garçons. Beaucoup de parents musulmans craignant la mauvaise influence de la rue sur leur fils, ils voient dans l'institution scolaire un lieu qui éloigne de la rue mais dont il faut se méfier des valeurs.
Necla Kelek dénonce cette indifférence pour l'éducation qui mène des garçons à avoir pour seul objectif d'accéder à la paternité, sans se soucier des moyens d'assumer les ressources de cette famille. Elle en voit la raison dans l'impossibilité à surmonter "
la peur surpuissante du père" et dans le principe, inhérent à l'islam, de copier la mère et le père plutôt que chercher à acquérir sa propre histoire.

À la lecture de cet essai on pourrait croire que le seul moyen d'améliorer la situation est de rompre avec les racines. Pourtant Necla Kelek indique dans son livre l'espoir d'une voie moins brutale, permettant aux enfants de se construire en prenant assise sur leur culture d'origine et celle de leur pays de résidence. En effet, elle décrit l'Istanbul des années 60 comme un lieu propice à la prise de décisions individuelles, un lieu en évolution où arrivaient des gens attirés par la modernité. Aujourd'hui, la volonté de recréer un chez-soi ailleurs fige les traditions de l'émigrant bien plus qu'elles ne le sont dans son pays, à Istanbul ou chez nous !