Cent jours, cent nuits

Bärfuss, L. (2009). Cent jours, cent nuits : roman. Paris: Arche éditeur.

David Hohl s’est engagé résolument, avec une part de naïveté certes, dans l’aide au développement dans l’intention de venir au secours des plus faibles, des plus opprimés. Pourtant son lieu d’affectation, malgré la pauvreté endémique, lui apparaît comme privilégié, par le climat, par l’ordre qui insinue l’ennui chez celui qui rêvait d’une action chevaleresque. Ce monde bien réglé de techniciens et d’administrateurs incite David, comme chacun des expatriés de la mission d’ailleurs, à tromper cette routine écrasante, ce monde de représentation et d’accommodements. Aveugle aux tensions, sourd aux bruissements annonciateurs de violences, il n’a de cesse de retrouver et de séduire Agathe, la rwandaise qui dès l’envol de Bruxelles l’oblige à interroger ses a priori.

Si j’avais été assez intelligent, j’aurais retenu la leçon et mis en doute mes idéaux et les raisons pour lesquelles je voulais me consacrer à ce travail. Mais j’étais stupide, j’étais aveugle, je ne voyais que ce que je voulais voir, et surtout je brûlais du désir enfantin de consacrer ma vie à une cause plus grande que moi.

Dans le récit de David au narrateur, reviennent les questions du basculement vers l’horreur, du crédit moral de l’institution qui a soutenu les tortionnaires, de l’honneur de la Suisse qui a investi son argent et sa crédibilité dans ce pays. Pour nuancer la prééminence ethnique, Bärfuss ne décrit pas un conflit entre Hutus et Tutsis, mais entre Longs et Courts pour mieux insister sur l’aspect anecdotique que sont les caractéristiques morphologiques.
photo des environs de Kigali - wikimedia

Kigali (source : commons.wikimedia.org)


L’univers de David est vite restreint à son lieu de résidence, la maison Amsar. Bärfuss oppose le confinement dans lequel évolue le coopérant et la réalité d’un pays fragilisé par la démographie galopante. Il insiste sur le manque de compréhension des expatriés, ne serait-ce que par la mauvaise connaissance de la langue. Mais ces critiques permettent aussi à l’auteur de mettre en évidence la complexité de la tâche, les priorités apparemment inconciliables des uns et des autres dans un contexte qui nécessite pourtant une action de bien plus grande envergure que les gestes administratifs auxquels est limité David.
Quelles sont nos motivations dans nos engagements ? Quel est notre degré de liberté pour les concrétiser ? Quels sont les ressorts qui nous permettent de ne pas perdre nos illusions et de rester fidèle à nos valeurs ?
Autant de questions que Bärfuss nous pose au travers de la personne de David, [qui] est un homme brisé, [qui] doit l’être avec tout ce qu’il raconte et – ce qui est encore plus important – avec tout ce qu’il me cache.

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