Fortuna

Fortuna, de Germinal Roaux (Suisse, Belgique, 2018), avec Kidist Siyum Beza, Bruno Ganz, Patrick D’Assumçao, Yoann Blanc, Assefa Zerihun Gudeta, 1h46.

Le cadrage et le noir-blanc du photographe Roaux magnifie ce film sur l'accueil.
La découverte de ce joyau en présence du réalisateur permet de décoder certaines de ses intentions. Concerné par l'accueil des mineurs non accompagnés (les MNA), Roaux récrit l'histoire de Fortuna et de Kabir. Il rappelle que chacun de ces parcours est une histoire qui touche. En choisissant celle-ci, il rend hommage à ces jeunes qui ont vécu un périple au-delà de l'imagination. La séquence de l'orage en mer suggère avec force cette omniprésence de l'eau prête à tout engloutir.
Le choix de l'interprète de Fortuna a été ardu. Les immigrés se sont rapidement révélés inaptes à entrer dans le personnage. Les traumas vécus dans la migration étaient encore trop douloureux pour qu'ils puissent s'en abstraire et interpréter une autre histoire que la leur. Après des castings au Burkina Faso, c'est finalement à Addis Abeba qu'il a découvert Kidist Siyum Beza.
Entre cette jeune fille et Bruno Ganz, qui interprète le chanoine, de l'Hospice du Simplon, deux mondes. Pour laisser de la place à cette femme, il lui raconte le scénario à la manière d'un conte que l'on répète à l'enfant. Puis, par le dialogue, incurve son projet pour lui laisser exprimer sa nature.
Un spectateur remarque qu'il a rendu compte avec justesse de la culture éthiopienne et de l'importance de la foi dans ce pays. Aux prières de Fortuna et de la communauté des chanoines répondent celles de Kabir et de ses coreligionnaires musulmans. Pour Germinal Roaux, c'est une manière de rappeler qu'aujourd'hui en Ethiopie, il y a une certaine harmonie entre religions.
Bruno Ganz a accepté de jouer ce rôle, mais exigeait un scénario tiré au cordeau. S'inspirant d'interviews du comédien, Roaux a tenu compte de son phrasé pour écrire, à la virgule près ce rôle.
Le rythme du film donné par les séquences cadrées, voire surcadrées, la part de mystère que permet le noir blanc sont propices à la méditation. Roaux préfère suggérer que dire. Comme il le précise, le dialogue entre l'assistant social et le chanoine préexiste au film : il remet en question les certitudes sur ce qui est bien et juste. Il n'y a pas affrontement de valeurs dans cet échange, mais une ouverture à l'introspection.
Lorsque les frères s'interrogent sur leur vocation à l'accueil, Germinal Roaux se permet un brin de provocation. Il s'est imposé au Simplon, dans un lieu dévolu à l'hospitalité mais la communauté ne s'occupe pas de migrants… mais elle a accueilli avec ouverture l'équipe de tournage.
Riche et méditatif, ce film est à contretemps des productions actuelles. Lors de la fête au foyer, la musique est davantage vue qu'entendue. Cette magie en fait un film exigeant dont la richesse a été reconnue à la
Berlinale 2018.

Le site de Germinal Roaux
Stéphane Maffli, à la Berlinale
La critique d'Antoine Duplan
Raphaële Bouchet et Marie-Claude Martin sur le site de la RTS
Fiche technique RTS
Internet Movie Database